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Le devoir de vigilance : d’une loi innovante à une réalité dans les entreprises

mercredi 21 novembre 2018

Il y a plus d’un an, la France adoptait une loi imposant aux grands groupes de repérer et prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement partout où ils exercent. À ce jour, un peu moins de la moitié des grandes entreprises concernées ont rempli leurs obligations. Elles ont jusqu’à la fin de l’année pour le faire. Une étude passe en revue une trentaine de ces documents qui nous révèlent l’état du dossier.

Rana Plaza : plus jamais ça

En avril 2012, plus de 1 000 ouvriers du textile avaient péri dans l’effondrement d’un immeuble appelé le Rana Plaza à Dacca, au Bangladesh. Et c’est pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise qu’un collectif d’ONG et de syndicats français, « Ethique sur l’étiquette », s’est mobilisé, des années durant, pour imposer une loi sur le devoir de vigilance des entreprises (Clés du social : http://www.clesdusocial.fr/rana-plaza-tous-concernes).

La loi du 27 mars 2017

La loi est adoptée le 27 mars 2017. Elle oblige les sociétés donneuses d’ordre à s’assurer que leurs activités, comme celles de leurs sous-traitants et fournisseurs, respectent les droits humains et les règles sociales et environnementales en France et partout dans le monde. Ce texte met fin à l’impunité des multinationales car il permet de sanctionner des activités hors du territoire national.

Les entreprises concernées

Elles sont entre 150 et 200 en France et ce sont des grandes entreprises. Les sociétés françaises doivent employer au moins 5 000 salariés en France. Pour les entreprises étrangères, elles doivent avoir plus de 10 000 salariés dans l’Hexagone. En cas d’accident les victimes, les associations et les syndicats peuvent saisir le juge pour faire respecter cette nouvelle obligation. Le juge pourra enjoindre sous astreinte l’entreprise à publier et mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance.

La situation aujourd’hui

L’association Entreprises pour les droits de l’Homme et la société de conseil B&L évolution ont publié la première analyse des pratiques des entreprises quant à la mise en œuvre des plans de vigilance et leur contenu. Pour l’instant une soixantaine d’entreprises de tous secteurs ont publié leur plan dans leur document de référence, parmi lesquelles une cinquantaine ont clairement identifié et développé leurs chapitres relatifs au plan de vigilance.

Les principaux enseignements

  • Des démarches collaboratives ont été conduites entre les différentes directions des entreprises.
  • En général les plans de vigilance s’appuient sur les engagements et politiques préexistants.
  • Environ 1/5 des entreprises mentionnent la validation et le suivi du plan au plus haut niveau de l’entreprise (COMEX-comité exécutif, Conseil d’Administration). La question de l’association avec les parties prenantes internes et externes est mentionnée par plus d’un quart des entreprises.

Toutes les entreprises ne sont pas au même niveau d’exécution et beaucoup dépend des démarches déjà existantes dans les entreprises. Certaines développent leurs analyses des risques et les processus retenus, décrits selon les étapes de la loi. D’autres sont encore en train de définir le plan et de formaliser les processus et mesures qui le composent, y compris les cartographies des risques, premières étapes du processus global. Concernant le volet environnemental, 2/3 des entreprises l’ont pris en compte dans la formalisation de leur plan. Plus d’un tiers des entreprises étudiées indiquent que leur plan de vigilance sera finalisé fin 2018.

À noter que l’entreprise TOTAL est le premier pétrolier à être interpellé sur son devoir de vigilance concernant le climat. Les maires de plusieurs villes françaises et des ONG ont demandé mardi 23 octobre au groupe pétrolier d’agir pour limiter le réchauffement climatique à 1,5° car ils estiment que les émissions de gaz à effet de serre de la multinationale française « représentent à elles seules plus des deux tiers de l’ensemble des émissions de la France ». Faute de quoi ils pourraient l’attaquer en justice.

La réaction des associations à ce premier bilan

Nayla Ajaltouni, du collectif Éthique sur l’étiquette souligne qu’il est trop tôt pour considérer que la loi a changé complètement la donne. Elle attend en particulier la parution de tous les plans ce qui permettra « de s’assurer qu’ils analysent les risques sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et précisent les mesures pour y remédier et qu’ils sont transparents, sincères et ambitieux. Et vérifier qu’ils sont bien mis en œuvre ».
Sur le terrain, la responsable associative constate, pour l’heure, peu de changement. « Dans le secteur textile, les marques ont pris des engagements, mais les progrès sont minces. Tant que le modèle dit « fast fashion », basé sur une production à bas coût, restera de mise, l’exploitation des travailleurs continuera », ajoute-t-elle.

Une loi innovante qui participe à la construction de l’État providence du XXIème siècle

Lors d’une table ronde qui s’est tenue à l’université Paris-Dauphine le 20 octobre sur ce thème, le juriste Antoine Lyon-Caen a indiqué que cette loi s’inscrivait dans une filiation avec la loi sur la sécurité et les accidents du travail de 1898 (Clés du social http://www.clesdusocial.fr/accidents-du-travail-la-loi-du-9-avril-1898). Cette loi instaure la possibilité pour un salarié victime de demander une réparation, sans avoir à prouver la faute de son employeur. C’est, en effet, à ce dernier d’engager les moyens nécessaires en amont afin de prévenir les risques d’accident du travail.

Pour Antoine Lyon-Caen cette loi a joué un rôle fondamental dans le développement d’un régime assurantiel et dans la construction de l’État-providence. Il estime que la loi sur le devoir de vigilance jouera un rôle similaire dans les années à venir.

Un grand intérêt dans le monde entier

Lors de cette même table ronde, Dominique Potier qui fut le rapporteur de la loi à l’Assemblée Nationale a souligné que cette loi suscite un grand intérêt dans le monde entier pour tous ceux qui cherchent à réguler et à accompagner les effets d’un capitalisme mondialisé. Il a indiqué la préparation d’un traité onusien sur les multinationales et les droits humains qui reprend le principe d’un devoir de vigilance.

Conclusion

Il faut saluer cette avancée législative suscitée par des mobilisations citoyennes et remarquer que ce premier exercice de publicité sur la mise en œuvre du devoir de vigilance montre que certaines entreprises ont pris en compte cette nouvelle exigence. Mais le plus important désormais est ce qui se passera dans toutes les entreprises. Et là rien ne sera possible sans la mobilisation permanente des équipes syndicales au sein des entreprises et leur collaboration avec les organisations syndicales internationales et les associations.


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