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Les syndicats sont-ils mortels ?

samedi 1er avril 2006

Les enseignements d’un colloque et d’un sondage. C’est autour de la crise du syndicalisme que François Chérèque et Bernard Thibault ont débattu, le 16 janvier, à l’invitation de l’association Dialogues , présidée par Jean Peyrelevade et animée par Jean- Dominique Simonpoli. Au-delà de l’affirmation commune que le droit actuel régissant le syndicalisme et la négociation collective favorise l’émiettement des organisations, le sujet n’a pas été vraiment approfondi....

On en est resté au souhait du changement des règles de la négociation collective autour du principe de la validité des accords soutenus par un ou des syndicats représentants la majorité des salariés, sans vraiment entrer dans le détail et les conditions d’opérationnalité d’une telle modification. De quoi rester sur sa faim, même si François Chérèque a insisté, avec bon sens, pour qu’ « une bonne fois pour toutes on définisse au préalable pourquoi on souhaite mettre en place telle ou telle nouvelle procédure avant de s’intéresser à en définir les modalités ».

Chacun s’est gardé d’en rajouter aux divergences de fond bien nettes qui portent sur le rapport du champ social et du champ politique, sur la place respective de la loi et du contrat : face à François Chérèque - qui défend la gestion paritaire et le « modèle social européen » où le politique reconnaît « un espace de liberté aux corps intermédiaires », patronats-syndicats, respectant leur accords - , Bernard Thibault défend bec et ongles le droit supérieur du législateur et de l’ État : « la norme ne peut s’imposer à toute la société si elle ne résulte que d’un dialogue entre partenaires sociaux. Je ne ressens pas le besoin de sauvegarder le paritarisme comme objectif premier, compte tenu de ce qu’il produit. ». Là est le noyau dur qui différencie deux conceptions du syndicalisme et rend, pour l’heure, si improbable un rapprochement durable – et donc efficace - entre CGT et CFDT.

De tout ceci la presse n’a guère rendu compte, pas plus qu’elle n’a prêté attention au sondage de la SOFRES, commandé par Dialogues auprès de 1000 français (dont 513 salariés actifs) de plus de 18 ans, interrogés à domicile, à la fin décembre 2005. Or celui-ci est passionnant, car il reprend certaines des questions de l’enquête Expression publique, à laquelle nous avons fait écho en décembre (lien à faire) et il en valide les réponses sur des échantillons représentatifs. Ce sont les réponses des salariés qui ici nous intéressent, car le regard qu’ils portent sur le syndicalisme est déterminant pour son avenir. Toute stratégie de développement et de renouveau syndical doit partir de là. Il est toutefois regrettable qu’il n’ait pas été demandé aux interviewés, s’ils étaient adhérents cotisants à un syndicat et la taille de l’entreprise ou de l’administration où ils travaillaient. L’éclairage des réponses en aurait été enrichi.

61 % des salariés disent qu’existent des syndicats dans l’entreprise ou l’administration où ils travaillent : ce chiffre paraît un peu élevé, du moins comme indicateur de proximité, si on le rapproche des 53 % mentionnés dans la note « Mythes et réalités de la syndicalisation » . Les 39 % qui constatent, de fait, l’absence de toute organisation relèvent surtout du secteur privé et probablement de certaines activités (bâtiment, commerces, hôtels-restaurants, services aux personnes, etc.) où les TPE et PME de moins de 50 salariés sont très nombreuses.
S’il y a incontestablement là des déserts d’implantation syndicale, force est de constater qu’il ne suffisent pas à expliquer le faible taux de syndicalisation français – 8,2 % des salariés, 15,5 % dans le secteur public (6,3 millions), mais 5,2 % dans le secteur privé (15,5 millions), où pourtant le taux de couverture en délégués syndicaux dans les entreprises de plus de 10 salariés atteint 58 % des salariés concernés . Or l’enquête de Dialogues apporte des éléments très intéressants sur les raisons données par les salariés de ne pas se syndiquer, bien entendu dans les limites de la formalisation des questions.

D’abord les deux tiers des salariés approuvent l’affirmation « les Français n’aiment pas se syndiquer », plus dans le secteur public que chez les salariés du privé ou chez les chômeurs. C’est une façon de prendre acte de la désyndicalisation comme une donnée considérée comme d’autant plus intangible que les médias vont rarement en sens contraire. Mais ainsi les salariés reconnaissent implicitement qu’ils ont une responsabilité personnelle dans cette situation dont ils ne sont pas satisfaits, puisqu’ils estiment en majorité que le syndicalisme est utile et efficace (58%) et qu’ils veulent bénéficier des avantages obtenus par les syndicats. Pour autant, ils repoussent à 75 % l’idée de réserver aux seuls syndiqués les avantages obtenus par les syndicats. Pas question dans le syndicalisme par délégation de lâcher la proie pour son ombre !

Enfonçons le clou :

 seulement 27 % des salariés (41 % dans le secteur public, et seulement 18 % dans le privé) font confiance aux syndicats pour défendre leurs intérêts ; par contre, 45 % (34 % dans le secteur public, 53 % dans le privé) préfèrent discuter individuellement avec sa hiérarchie.

 Cependant, un salarié sur deux se réfère encore à l’action collective, qu’elle soit institutionnalisée sous la forme syndicale, ou qu’elle soit coordination (implicitement) ponctuelle avec d’autres salariés qui partagent les mêmes préoccupations (23 %).

 Enfin, 36 % des salariés considèrent les syndicats comme inefficaces ; on sait qu’un quart des salariés du privé expriment même leur hostilité aux syndicats considérés comme des « gêneurs des activités de l’entreprise ».

Or le sondage de Dialogues éclaire la nature des résistances des salariés français à se syndiquer, du moins au travers des questions posées.

Alors que la cherté des cotisations arrive en dernier avec 15 % des réponses (21 % dans le public, 11 % dans le privé), trois grandes raisons recueillent chacune plus du tiers des réponses : la mauvaise compréhension par les syndicats des préoccupation des salariés ; la peur des représailles (40 % des salariés du privé et des chômeurs) ; la division syndicale (41 % dans le secteur public où elle est plus grande qu’ailleurs).

Ces deux derniers motifs sont sans surprise. La crainte des représailles, surtout dans les TPE et PME, où l’employeur est proche de ses salariés, n’est pas étonnante, pas plus que l’invocation de la division syndicale : 80 % des salariés préfèreraient « n’avoir qu’une, deux ou trois confédérations comme ailleurs en Europe », parce qu’ils pensent que ce serait plus efficace, parce que la concurrence leur semble l’emporter sur la défense des salariés (74 % des salariés), parce qu’ils ne voient pas bien ce qui distingue les syndicats (58 %, davantage dans le privé et chez les chômeurs). Mais ne nous laissons pas aller à une lecture réductrice : une forte minorité (35 %, 44 % dans le public, 28 % dans le privé, très probablement les syndiqués et les sympathisants motivés) affirme bien voir ce qui distingue les organisations entre elles, 20 % ne pensent pas qu’il y a trop de concurrence. Indice complémentaire : à la question sur la validité des accords d’entreprise uniquement s’ils sont signés par des syndicats représentants la majorité des salariés, 28 % y sont opposés, 14 % sans opinion et 58 % seulement y sont favorables.

Une meilleure lisibilité d’ensemble du système syndical n’est probablement pas pour demain, même si toutes les organisations syndicales doivent se préoccuper de l’accroître, en s’efforçant de diminuer l’état actuel la fragmentation organisationnelle. Mais le vrai obstacle à surmonter est l’image globale donnée par les syndicats : ils semblent aux salariés éloignés de leurs préoccupations, parce qu’il ont une approche trop idéologique (69 % contre 21 %).

Au-delà, ce qui frappe c’est la division en deux blocs quasi équivalents, entre ceux qui estiment que les syndicats ont une mauvaise compréhension des vrais besoins des salariés (47 %) et ceux qui pensent le contraire (44 %), même si l’écart se creuse chez les salariés du privé (50 % contre 41 %), alors que le rapport est inverse dans le secteur public.

A quoi les syndicats sont-ils donc attentifs ? La question est posée sur la manière dont le syndicalisme prend en compte les intérêts d’un certain nombre de composantes du salariat.
Il est tout à fait intéressant de classer les réponses selon le jugement positif sur l’attention des salariés, selon la catégorie des interviewés (privé, public, chômeurs, retraités). Le tableau (les chiffres entre parenthèses donnent l’écart entre les réponses « oui » et les réponses « non ») illustre une image du syndicalisme associée au secteur public, aux grands groupes et à l’emploi stable, là où il existe et où il agit. Il éclaire le sentiment d’inefficacité exprimé par ailleurs : nombre de salariés du secteur privé, de l’emploi précaire, des petites entreprises, de chômeurs et de retraités disent clairement n’être pas concernés par un syndicalisme qui ne leur donne pas l’impression d’insérer dans ses priorités leurs préoccupations. Il donne à lire l’importance des fractures au sein du salariat et avec les anciens salariés : les interviewés la reconnaissent, même – toutes proportions gardées – les salariés du secteur public. Là est certainement un des noeuds majeurs de la faible syndicalisation française, imbriquant effets et causes.

télécharger le tableau

Tout aussi cohérente avec ce qui précède est l’appréciation partagée en deux blocs égaux (45 %) sur la méconnaissance syndicale des réalités économiques : si les salariés du secteur public penchent (52 %) pour la compétence économique syndicale, l’avis inverse domine chez les salariés du privé (49 contre), les chômeurs (46 %), et les retraités (55 %).

A cet égard, il faut rapprocher les enseignements de cette enquête de ceux qu’apportait celle sur le regard des salariés sur la représentation syndicale de mai 2002 citée plus haut.

Elle montre en effet que l’image critique du syndicalisme par les salariés, en particulier du secteur privé, est d’abord nourrie de son absence au quotidien sur le terrain. Car les salariés du privé reconnaissent en effet le rôle irremplaçable du syndicalisme dans la représentation des salariés, que l’action syndicale, quand elle existe dans l’entreprise, est plutôt un stimulant pour la vie de l’entreprise. Encore faut-il que cette proximité soit à l’écoute de leurs préoccupations et leur expérience.
C’est ce qu’ils disent lorsqu’ils regrettent que « les syndicats fassent passer leurs mots d’ordre et leurs intérêts avant ceux des salariés ». Ne laissent-ils pas entendre sans ambiguïté que, si les délégués syndicaux prennent la mesure de ce qui gêne les salariés pour s’investir dans leur travail, ils passent en revanche largement à côté de ce qui les motive. Plus de trois salariés sur quatre estiment être en premier lieu motivés par « la satisfaction du travail bien fait », alors qu’une minorité de délégués syndicaux seulement attribue cette motivation aux salariés. Car il est vrai que les syndicalistes ont tendance à croire qu’ils attirent les salariés en disant du mal de l’entreprise – revendication oblige – et ils le sont pas les seuls : Viviane Forrester n’a-t-elle pas fait un succès de librairie avec l’ « horreur économique ». Et si les uns et les autres étaient dans l’erreur tout simplement ? Voilà, en tous cas, un thème de réflexion.