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L’exercice du droit de retrait et le COVID-19

mercredi 25 mars 2020

De plus en plus de salariés estiment que les règles sanitaires face au COVID–19, dans le cadre de leur travail, ne sont pas respectées. Ils invoquent le droit de retrait.

Ce droit procède de la loi du 23 décembre 1982 codifiée à l’article L. 4131-1 du code du travail. Tout travailleur est en droit d’alerter son employeur « d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection ».

Aucune sanction, ni retenue sur salaire, ne peut lui être appliquée, si les motifs qui fondent le retrait sont avérés. Le droit de retrait concerne les salariés du privé mais aussi ceux du public (conditions similaires).

La particularité de ce droit est de confronter les intérêts du travailleur à ceux de son employeur : en cas d’échec de consensus entre les parties, l’issue finale ne peut reposer que sur la décision souveraine du juge. Dans l’attente du jugement, le salarié exerce son droit de retrait à ses risques et périls. Il peut demander un congé sans solde pour convenance personnelle, valable jusqu’à la date de réception du courrier de l’employeur. Après refus écrit du droit de retrait de l’employeur, ce dernier pourra retenir l’absence de travail sur le salaire (Cass. Soc. 29 janvier 2020).

Quatre conditions cumulatives sont nécessaires à sa mise en œuvre :

  • danger grave et imminent : ces deux conditions supposent d’abord que la survenance du danger soit très proche, et que le degré de gravité du danger puisse être distingué du risque habituel mais aussi des conditions normales d’activité, et ce même si l’exercice du travail est pénible ou dangereux.
  • menace d’un accident et après alerte : « L’alerte » doit d’abord avoir été préalablement donnée à l’employeur pour que celui-ci ait la possibilité de remédier à la situation décrite. Ce n’est que si l’alerte a été actionnée en vain que le retrait peut être effectué, au risque de ne pas être reconnu, dans le cas contraire, et ultérieurement, par les tribunaux.

La jurisprudence sociale a pu admettre que l’exposition progressive ou instantanée à une maladie puisse traduire l’existence d’un danger grave et imminent (jurisprudence amiante). Dans la situation exceptionnelle du COVID-19, il serait en effet paradoxal de considérer l’exposition immédiate au virus, la présence avérée d’une personne porteuse du virus sur le lieu de travail comme ne présentant pas un danger grave et imminent compte tenu de sa contagiosité aiguë.

La jurisprudence judiciaire et administrative ne s’est jamais prononcée sur l’exercice du droit de retrait en situation de pandémie sanitaire. Mais elle a rappelé régulièrement que :

  • le droit de retrait est un droit individuel s’appréciant pour chaque espèce et au regard des circonstances qui lui sont propres.
  • le droit de retrait peut être envisagé de façon collective (groupe de travailleurs) mais c’est au regard de chaque situation individuelle concrète. Le juge se prononce « au cas par cas » : ainsi la situation du salarié travaillant dans le même « open space » sera envisagé par le juge différemment de celle qui ne se trouve pas au même étage ou dans le même bâtiment.

Le droit de retrait ne peut être appliqué :

  • si ce retrait lui-même crée pour autrui (collègue ou usager du service public) un danger grave et imminent. Chaque circonstance doit s’évaluer au cas par cas. Le fait qu’un facteur n’ait pas de masque à disposition, par exemple, ne suffit pas à légitimer son droit au retrait : « Aujourd’hui, les recommandations nationales sont de ne porter un masque que quand on est malade ».
  • à certaines professions dont les missions générales de service public. Cela a pour but de protéger les biens et les personnes : personnels exerçant des missions de sécurité et de maintien de l’ordre ; personnes exposées à des risques de contamination aux virus du fait de leur activité habituelle (personnels de santé ou personnels de ramassage et du traitement des ordures ménagères). Toutefois, en l’absence improbable de toute mesure de protection, notamment pour le personnel hospitalier, comme la fourniture de gel hydroalcoolique, ou le manque d’information du personnel, la question du droit de retrait pourrait se poser au cas par cas.

Avec l’épidémie du COVID-19, le gouvernement, voulant protéger aussi l’économie, ne cesse de rappeler que le principe du droit de retrait est relatif à une situation particulière de travail et non à un contexte global de crise sanitaire : le 16 mars, le secrétaire d’État, Olivier Dussopt, a affirmé que le droit de retrait « ne saurait prendre le dessus sur la nécessité des services publics ». Les nombreuses circulaires qui ont été prises à la suite de la pandémie de grippe A (H1N1) constituent des précédents, sorte de socle juridique sur lequel s’appuient les discours récurrents des autorités :

« Dans la mesure où l’employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le code du travail et les recommandations nationales » visant à protéger la santé et la sécurité des personnels, notamment par des mesures barrières, que ce dernier a informé et préparé son personnel, « le droit individuel de retrait ne peut trouver à s’exercer » (circulaire DGT 2009/16 du 3 juillet 2009 relative à la pandémie grippale).

La crainte du coronavirus ne peut justifier à elle seule l’exercice du droit de retrait. Les questions-réponses élaborées par le ministère du Travail, actualisées le 17 mars 2020 (https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/coronavirus-questions-reponses-pour-les-entreprises-et-les-salaries), précisent que « si l’employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le code du travail et les recommandations nationales (…), qu’il a informé et préparé son personnel (…), le droit individuel de retrait ne peut en principe pas trouver à s’exercer ».

  • Quelle que soit l’activité de l’entreprise, « le coronavirus en tant que tel n’est pas un motif légitime du droit de retrait, confirme l’avocat Cédric Jacquelet. « Celui-ci doit avoir un lien avec les conditions du salarié ».
  • Le ministère du Travail estime que si l’employeur met en œuvre les recommandations du gouvernement, disponibles et actualisées sur https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus, les conditions d’exercice du droit de retrait ne sont pas réunies.

Cette position politique du gouvernement n’est pas normative, pas plus que n’est forcément légitime l’invocation du droit de retrait par ceux qui ne se sentent pas protégés dans le cadre de leur travail au cours de cette période de crise liée à l’épidémie sanitaire. Il reviendra aux juges de préciser le droit de retrait en période de pandémie, au cas par cas. Dans l’avenir, face aux contentieux, le juge tranchera à l’aune des connaissances actuelles concernant la pandémie.


Référence

  • Liaisons sociales quotidien. Publiée le 11/03/2020. L’exercice du droit de retrait en raison du Covid-19. D. Guillouet avocat