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Échec des négociations européennes sur le télétravail

mercredi 17 janvier 2024

Les partenaires sociaux européens avaient négocié en 2002 un accord novateur sur le télétravail à une époque où cette forme de travail était encore peu développée. La pandémie du Covid et les confinements ont conduit au développement du télétravail de manière exponentielle et l’ont inscrit de manière définitive dans l’organisation du travail des entreprises et administrations. Dans leur programme de travail 2022-2024 les partenaires sociaux européens avait retenu le principe de la renégociation de l’accord de 2002 avec une mise en œuvre législative. Dans une résolution le Parlement européen avait également souligné l’importance d’ajouter en particulier une clause de « droit à la déconnexion » et avait demandé à la Commission de présenter une initiative législative. Après plus d’un an de négociation, les employeurs ont choisi de quitter la table.

Rappel de l’accord de 2002

Le sujet du télétravail était apparu dans les propositions de la Commission européenne sur l’organisation du travail. Lors du Sommet du dialogue social à Vienne, le 4 décembre 1998, la CES avait proposé de négocier ce thème, sans obtenir de réponse de la part du patronat. Après un séminaire « technique » et une réflexion commune sur les défis liés à ce type de travail, le patronat n’avait toujours pas accepté de négocier l’encadrement de cette forme d’emploi. Il fallut, comme d’habitude, attendre que la Commission décide de lancer une consultation, le 20 juin 2000, sur « La modernisation et l’amélioration des relations de travail » traitant de la modernisation du cadre législatif, réglementaire et conventionnel du télétravail et du travail économiquement dépendant pour que le patronat européen se réveille ! Bien sûr la première initiative du patronat, pour gagner du temps, fut de proposer un « code de conduite ». En février 2001 la Commission européenne annonce son intention de lancer la deuxième phase de consultation. Le patronat propose alors d’utiliser la deuxième forme de mise en œuvre des accords européens, celle de la mise en œuvre par les partenaires sociaux nationaux, juridiquement non contraignante. La CES n’était pas, a priori, opposée à cette forme de mise en œuvre, y voyant même un élément de crédibilisation des partenaires sociaux.

La négociation démarrera en octobre 2001 et se conclura en mai 2002 avec une signature de l’accord en juillet 2002. Il a donc été négocié selon la procédure de mise en œuvre par les partenaires sociaux eux-mêmes au niveau national et non par la législation européenne comme auparavant pour le congé parental, les contrats à durée déterminée et le travail à temps partiel.
Malheureusement si l’accord fut novateur et intéressant, sa mise en œuvre fut un fiasco. Seuls quatre pays intègreront l’accord européen dans un accord ou convention collective nationale. Nous avions créé un droit inégal…par naïveté sur la loyauté/capacité du patronat à mettre en œuvre cet accord au niveau national…

Les objectifs de la négociation

La pandémie Covid et les différents confinements ont fait exploser l’utilisation du télétravail, faisant apparaitre la nécessité d’adapter et d’améliorer l’accord de 2002 pour sécuriser l’emploi des travailleurs(euses) concernés et leurs conditions de travail. Le Parlement européen avait d’ailleurs adopté une résolution demandant à la Commission de renforcer les garanties des salariés.

La CES souhaitait l’adaptation et l’amélioration de l’accord de 2002 à la lumière des expériences des confinements et de l’évolution des techniques. D’autant qu’une enquête de la Fondation de Dublin (Agence européenne tripartite pour l’amélioration des conditions de vie et de travail) montrait que les personnes qui travaillaient chez elles en télétravail étaient six fois plus susceptibles de travailler durant leur temps libre et deux fois plus susceptibles de travailler 48h… Un droit à la déconnexion était donc une priorité de cette négociation. Les demandes des syndicats européens concernaient également l’égalité de rémunération et de traitement pour les travailleurs, la protection de la vie privée, le droit des salariés à choisir ou non le télétravail, l’obligation pour l’employeur de fournir l’équipement et l’assistance technique, le droit syndical…

Dans leur programme de travail quadri annuel 2022-2024, les partenaires sociaux avait intégré l’ouverture d’une négociation d’un accord « contraignant » sur le télétravail à mettre en œuvre par une Directive européenne.

Un échec programmé ?

Les négociations ont commencé le 4 octobre 2022. Au bout de quinze séances lors de la négociation finale du 9 novembre, deux des trois organisations d’employeurs (BusinessEurope pour le patronat privé et SME united pour les PME, la troisième organisation SGI Europe représentant les entreprises publiques ou/et à participation publique souhaitant continuer)) ont déclaré que le texte mis au point pour cette dernière séance ne pouvait pas faire l’objet d’un accord, mais que la décision de mettre fin aux négociations devrait être prise par leurs organisations respectives, et non par leur délégation de négociation. Le 27 novembre, les employeurs ont finalement déclaré que les négociations étaient terminées car ils n’avaient pas pu se mettre d’accord pour adopter le texte mis au point le 9 novembre. Le patronat n’a formulé aucune raison ni argument pour rompre ces négociations. La proposition de la CES de demander un médiateur a également été rejetée.

La délégation de négociation de la CES a recherché un accord avec détermination malgré les défis rencontrés. Les négociations du côté syndical ont témoigné de la maturité du syndicalisme européen qui contrastent avec l’attitude patronale qui semble à nouveau une opération de diversion comme lors de l’hypothèse d’une négociation sur les CEE que la CES avait à juste titre refusée. La justification de ce refus de négociation est renforcé par le constat de l’attitude patronale de non volonté d’aller au bout de la négociation télétravail en faisant perdre un an à une initiative législative. On savait que le patronat refuserait d’assurer un droit à la déconnexion mais on a eu l’illusion de croire que la négociation le ferait bouger de cette attitude dogmatique de rejet de tout ce qui pourrait normaliser, par la loi ou par la négociation, l’espace social européen…

Et maintenant

Une lettre conjointe des quatre organisations (trois patronales et une syndicale) a été envoyée à la Commission indiquant que les négociations se sont terminées sans accord et que le dossier est maintenant entre les mains de la Commission. La CES demande à la Commission de présenter rapidement une proposition de Directive mais le compte à rebours est plus que serré par rapport aux perspectives des élections européennes et du renouvellement de la Commission. Quelle sera la composition du Parlement européen ? La Présidente de la Commission sera-t-elle renouvelée ou partira-t-elle vers une autre responsabilité (on lui prête l’intention de prendre le Secrétariat général de l’OTAN…) et Nicolas Schmit, le Commissaire aux Affaires sociales, sera certainement changé par les Luxembourgeois. Sachant le rôle joué par Ursula Von der Leyen et Nicolas Schmit dans l’avancée sociale des dernières années l’avenir est plus qu’incertain…

Rappelons que la non négociation de la révision de la Directive sur les Comités d’entreprises européens (CEE) avait déjà conduit la CES à demander à la Commission, en septembre, de présenter en urgence une proposition législative [1] pour que cette révision soit prise en compte dans la législature présente (les élections européennes sont prévues le 9 juin en France). La Commission européenne a annoncé qu’elle présenterait son projet de proposition de révision de la directive CEE d’ici le 16 janvier 2024.