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Jurisprudence sur le rôle des accords collectifs

mercredi 4 février 2015

L’autonomie collective obtient (enfin) ses lettres de noblesse aux yeux de la Cour de Cassation.

Le 27 janvier 2015, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi (n°13-22179) qu’une Fédération C.G.T. avait formé contre un arrêt de Cour d’Appel qui avait refusé l’annulation de plusieurs clauses de la convention collective dite « SYNTEC », que cette fédération poursuivait au motif qu’elles instituaient des avantages de niveau différent pour les ingénieurs et cadres, d’une part, pour les employés, techniciens et agents de maîtrise, d’autre part.

Cette décision, qui fait partie d’une « batterie » d’arrêts rendus le même jour, revêt une importance primordiale pour l’autonomie normative des « partenaires sociaux ». Importance soulignée, du reste, par la publication d’un communiqué de la Cour. En effet, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation clôt par cette décision un épisode de son histoire au cours duquel elle avait décidé d’inviter les juges à soumettre les accords collectifs au même contrôle que les décisions patronales unilatérales au regard du principe d’égalité.

Le 1er juillet 2009, la Cour avait jugé que « la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence » (pourvoi n°07-42675). À la suite de la levée de boucliers que cette décision avait provoquée, la Haute Juridiction avait cherché à modérer légèrement sa jurisprudence en précisant quelque peu les critères du contrôle qu’elle préconisait. C’est ainsi que, par deux arrêts rendus le 8 juin 2011, elle invitait les juges à « tenir compte des spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération » (pourvois n°10-14725 et 10-11933). Pour autant, il appartenait encore aux parties signataires des accords collectifs litigieux de se justifier, alors même qu’elles ne sont pas nécessairement mises en cause dans les procès au cours desquels une telle question est en débat.

Les arrêts du 27 janvier expriment de la part de la Chambre Sociale un véritable revirement de jurisprudence. Il suffit, pour s’en rendre compte, de citer leur « attendu » principal : « les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elle sont étrangères à toute considération de nature professionnelle. »

Les enseignements de ces décisions sont multiples.
Tout d’abord, la charge de la preuve est inversée. Ce n’est plus aux signataires de l’accord collectif ou à ceux qui s’en prévalent de justifier les différences de traitement, mais à ceux qui les contestent de démontrer qu’elles n’ont pas de justification.
Ensuite, c’est la grille d’appréciation elle-même qui est redéfinie. L’annulation de stipulations différenciées selon les catégories suppose désormais la démonstration qu’elles sont « étrangères à toute considération professionnelle » et non plus seulement que leur « pertinence » n’est pas établie.

Au-delà, de cet aspect technique, les arrêts du 27 janvier marquent une reconnaissance tardive mais particulièrement nette des différences essentielles qui distinguent l’accord collectif d’une décision patronale. La Cour de Cassation s’en explique elle-même, partie dans ses arrêts, partie dans son communiqué.

Les arrêts soulignent que les conventions et accords collectifs sont des actes négociés.
Lapalissade, direz-vous. Cependant, l’attendu décisif de l’arrêt du 1er juillet 2010 ne faisait même pas allusion à la nature négociée de l’acte qui fondait l’avantage contesté ! Les arrêts du 27 janvier rappellent ensuite que « la défense des droits et intérêts des salariés » constitue, en droit, l’objet même des syndicats, et que la participation des salariés, par leur vote, à l’habilitation des syndicats comme agents de négociation collective leur confère un surcroît de légitimité depuis la réforme de 2008.

Le communiqué complète la justification du revirement.
Il y est d’abord souligné combien il était difficile d’exiger d’employeurs pris individuellement qu’ils justifient des disparités à la négociation desquelles ils n’avaient pas participé lorsque les clauses contestées figuraient dans des conventions ou accords collectifs de branche.

Enfin, la Cour reconnaît aux négociateurs sociaux une « marge d’appréciation comparable à celle que le Conseil Constitutionnel reconnaît au législateur. »
Autrement dit, le juge renonce à un contrôle qui s’apparentait à celui de l’opportunité des dispositions conventionnelles. À tout le moins, ce contrôle constituait ainsi une véritable ingérence a posteriori dans la négociation collective. Une ingérence ignorante des équilibres susceptibles d’avoir été négociés entre différents éléments d’un même accord collectif, de sorte que, en recherchant la justification propre à un avantage considéré, le juge risquait fort d’appréhender celui-ci avec une lentille déformante.

En respectant l’autonomie normative des protagonistes de la négociation collective, le juge évite de s’égarer.


 

 

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