1. Accueil
  2. > Dialogue social
  3. > Négociation
  4. > Les rapports entre accords de groupe, d’entreprise et (...)

Les rapports entre accords de groupe, d’entreprise et d’établissement après la loi Travail |2|

mercredi 15 février 2017

2. La primauté de l’accord de groupe sur l’accord d’entreprise
Assimilé à l’accord d’entreprise par rapport à la loi et à l’accord de branche, l’accord de groupe n’occupe pas cependant une place identique à celle de l’accord d’entreprise au sein du groupe.

« Lorsqu’un accord conclu dans tout ou partie d’un groupe le prévoit expressément, ses stipulations se substituent aux stipulations ayant le même objet des conventions ou accords conclus antérieurement ou postérieurement dans les entreprises ou les établissements compris dans le périmètre de cet accord » (art. L.2253-5). La loi permet ainsi aux négociateurs d’un accord de groupe d’attribuer à leur accord une primauté absolue à ses stipulations sur celles, de même objet, des accords d’entreprise. En réalité, cette primauté n’est pas propre à l’accord de groupe. Celui-ci la partage - sous la même réserve qu’il l’ait prévu - avec l’accord d’entreprise dans ses rapports avec des accords d’établissements ayant le même objet (art. L.2253-5).

L’objectif semble clair. La direction d’un groupe, qui a pris successivement le contrôle de plusieurs sociétés, peut souhaiter construire un statut collectif unifié ou harmonisé entre ses anciennes et ses nouvelles filiales et, à cette fin, négocier sur le même thème un accord unique susceptible de se substituer aux accords déjà en vigueur dans ces sociétés lors de la prise de contrôle. Cependant, ces accords ayant été négociés au sein d’unités de négociation (les sociétés acquises) différentes de celle (le groupe acquéreur) où la négociation du nouvel accord est envisagée, celle-ci ne peut être régie par les règles de la révision des accords collectifs (art.L.2261-7), notamment parce que les parties à la négociation et leur audience électorale respective peuvent y être différents. Seule une disposition légale spécifique pouvait donc conférer aux parties à un accord collectif de groupe ou d’entreprise le pouvoir de le substituer à des accords d’entreprise ou d’établissement antérieurs.

On pourrait s’étonner de ce que la substitution ne peut se produire que dans un sens, par l’effet d’un accord, en quelque sorte « central » (groupe ou entreprise), à l’égard d’accords « locaux » (entreprise ou établissement), et non en sens inverse : un accord d’entreprise ne peut se substituer à un accord de groupe, ni un accord d’établissement à un accord d’entreprise, ne serait-ce que dans son propre champ d’application. Cette dissymétrie nous semble révéler que le législateur a eu pour objectif de faciliter les processus d’unification ou d’harmonisation au sein des groupes et des entreprises, notamment par rapport aux statuts collectifs particuliers dont ils « héritent » lors des acquisitions et prises de contrôle.

Le nouveau texte est même rédigé d’une façon qui exprime clairement la volonté de ne pas faire bénéficier de cette facilité les possibles stratégies de créations de particularismes au sein d’un groupe ou d’une entreprise. Le pouvoir de substitution reconnu à l’accord de groupe n’atteint pas seulement les accords particuliers préexistants, mais aussi des accords conclus postérieurement. Etait-ce nécessaire de le préciser ? On imagine mal la direction d’un groupe ou d’une entreprise négocier un accord d’entreprise ou d’établissement en présence d’un accord de groupe ou d’entreprise antérieur aux termes duquel il aurait déjà été stipulé qu’il se substituerait à d’éventuels accords d’entreprise ou d’établissement à venir ! Force semble donc de considérer que cette règle a pour seul objectif d’assurer la substitution de plein droit d’un accord de groupe ou d’entreprise aux accords qui pourront avoir été conclus postérieurement dans des entreprises ou des établissements tiers, mais avant que ces derniers entrent dans le giron du groupe ou de l’entreprise considéré.

Cependant, cette explication n’est pas suffisante. En effet, dans les rapports entre les accords d’entreprise ou d’établissement et les accords « interentreprises » ayant le même objet, ce sont ces derniers qui priment (art. L.2253-6). Les travaux préparatoires à la loi Travail ne livrent guère d’explication sur ce nouveau type d’accord collectif. Il semble que le législateur ait entendu conférer un statut spécifique aux accords susceptibles d’être conclus dans un intérêt commun par des entreprises indépendantes les unes des autres. Il se pourrait que la négociation dans un cadre « territorial » d’accords sur les contreparties à l’attribution du repos hebdomadaire par roulement dans les commerces situés dans des zones touristiques internationales en constitue la principale application (art. L.3132-25-3). Ce mécanisme trouve probablement son explication dans une autre considération. Dans un cadre interentreprises, les enjeux sont différents. Dans le cas d’une zone touristique internationale, les entreprises cherchent sans doute à éviter que les contreparties de l’ouverture dominicale soient des facteurs de concurrence entre elles. Une fois ces contreparties unifiées, il est aisément compréhensible qu’un accord prévoyant la substitution de ses dispositions à celles qui pourrait avoir été stipulées dans telle ou telle des entreprises concernées doive être protégé aussi contre d’éventuelles futures tendances centrifuges d’entreprises qui, venant à ne plus jouer le jeu commun, passeraient de nouveau des accords particuliers.

Ainsi, tandis qu’entre la branche et chacune des entreprises qui en font partie, priorité est donnée aux membres d’une communauté par rapport à celle-ci, entre groupe, entreprises et établissements, ce sont, en quelque sorte, les membres qui cèdent face à la communauté. La contradiction n’est qu’apparente. Ces deux règles ne sont que les deux faces de la primauté donnée, comme agent de négociation collective, à l’« entreprise », prise en compte au niveau de sa direction, qu’elle soit celle d’une personne morale unique, qu’elle réside dans la société dominante d’un groupe de sociétés ou qu’elle prenne la forme d’une alliance d’entreprises indépendantes sur un thème donné.