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Les rapports entre conventions ou accords d’entreprise et de branche après la loi Travail

samedi 28 janvier 2017

L’article 8 de la loi du 8 août 2016 – dite loi « Travail » - qui modifie un grand nombre de dispositions du code du travail relatifs au temps de travail et aux congés a été la principale cible des oppositions à cette réforme. Une formule, mainte fois répétée, résume les critiques dont ces nouvelles dispositions ont été la cible : celles-ci « inversent la hiérarchie des normes ». Vrai ou faux ? Qu’en est-il exactement ? Pour les négociateurs d’accords collectifs dans les entreprises et dans les branches professionnelles, la réponse à cette question apporte une contribution essentielle à l’appréciation des marges de manœuvre.

Une inversion de la hiérarchie entre la loi et les accords collectifs…

En matière de temps de travail (durée et aménagement) et de congés, l’article 8 de la loi Travail insère d’abord dans le code du travail, au nouvel article L.3111-3, une disposition qui présente l’architecture du livre 1er de la troisième partie du code. On y lit, en premier lieu, que,

« à l’exception du chapitre II du titre III (repos hebdomadaire) ainsi que des titres VI (jeunes travailleurs) et VII (contrôle de la durée du travail et des repos), le présent livre définit les règles d’ordre public, le champ de la négociation collective et les règles supplétives applicables en l’absence d’accord. »

En second lieu, préfigurant l’architecture future du code du travail, le même article 8 applique cette distinction à l’ensemble des thèmes relatifs au temps de travail, aux repos et aux congés. Sur chacun de ces thèmes, le code du travail énonce les règles d’ordre public, par conséquent insusceptibles de dérogation négociée, dresse la liste des thèmes ouverts à la négociation d’accords collectifs [1] et formule les règles légales supplétives, c’est-à-dire applicables seulement en l’absence d’accord collectif de quelque niveau que ce soit ayant le même objet. Sur ces thèmes, la norme légale n’est édictée qu’afin de suppléer les normes négociées en cas d’absence de celles-ci.

Ce rapport de supplétivité se retrouve entre les accords de branche et les accords d’entreprise. Pour la plupart, les thèmes ouverts à la négociation collective peuvent être l’objet d’un accord d’entreprise « et, à défaut, d’un accord de branche ». L’accord d’entreprise s’applique donc de manière prioritaire par rapport à l’accord de branche, même si celui-ci est plus favorable aux salariés et ce, quelles que soient leurs dates de conclusion. S’il n’existe pas d’accord d’entreprise sur un thème, c’est l’accord de branche qui s’applique. L’accord de branche supplée l’accord d’entreprise inexistant. Il remplace alors ce dernier comme norme négociée applicable de préférence à la norme légale (au sens large : lois et décrets). Cette dernière ne produit son plein effet qu’en l’absence, et d’accord d’entreprise et d’accord de branche. C’est le cas désormais, notamment, sur les thèmes suivants :

  • la stipulation de contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage, ainsi qu’aux excédents de temps de déplacement professionnel (art. L.3121-7),
  • la mise en place d’astreintes (art. L.3121-11),
  • le dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail (art. L.3121-23),
  • la fixation du taux de majoration des heures supplémentaires (art. L.3121-33),
  • la détermination des modalités de l’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine (art. L.3121-44),
  • la mise en place des forfaits annuels en heures ou en jours (art. L.3121-63),
  • la mise en place du travail de nuit (art. L.3122-15),
  • la mise en place d’horaires de travail à temps partiel (art. L.3121-17),
  • la fixation d’une durée minimale de repos quotidien dérogatoire (art. L.3131-2),
  • la fixation d’une période de référence pour l’acquisition des droits à congés, différente de la période légale (art. L.3141-10).

La primauté ainsi accordée à la norme négociée par rapport à la norme étatique et, entre les normes négociées elles-mêmes, à l’accord d’entreprise par rapport à l’accord de branche constitue bien une inversion de la hiérarchie des normes. Cependant, cette nouvelle « architecture » du code du travail n’est pas vraiment nouvelle et, surtout, elle ne bouleverse pas la hiérarchie de toutes les normes.

Mais, une inversion qui n’est ni nouvelle, ni générale, ni absolue

D’une part, la primauté accordée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche remonte à une loi dite « Fillon » du 4 mai 2004. Celle-ci avait, en effet, reconnu aux négociateurs dans les entreprises la faculté de « déroger » aux accords de branche ; c’est-à-dire, d’éditer des règles différentes de celles qui résultaient des accords de branche. Cette disposition n’avait guère fait sentir ses effets parce que, en majorité, les branches professionnelles l’avaient neutralisée comme elles y étaient autorisées par l’article 45 de la même loi.

En revanche, sur certains thèmes, la loi du 20 août 2008 [2] avait rendu, non seulement, les accords de branche supplétifs des accords d’entreprise, mais aussi – déjà – les dispositions légales supplétives de celles des accords. Il en était ainsi pour la détermination du contingent d’heures supplémentaires, des conditions de son dépassement, des taux de majoration salariale des heures supplémentaires, et en matière d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine.

D’autre part, non seulement, l’inversion de la hiérarchie entre les deux niveaux de la négociation collective et entre celle-ci et la loi est limitée aux thèmes du temps de travail, des repos et des congés ; mais, même dans ces domaines, elle n’est, ni générale, ni absolue.

Sur certains thèmes particulièrement sensibles, les dérogations à la norme légale restent du domaine exclusif de l’accord de branche étendu (rendu, par arrêté ministériel, applicable à toutes les entreprises de la branche, même non adhérentes à une organisation patronale signataire). Sur d’autres, accord de branche et accord d’entreprise ne sont pas supplétif l’un de l’autre, mais de valeur égale.

Reste ainsi du domaine exclusif de l’accord de branche étendu l’institution d’horaires d’équivalence (art. L.3121-14), de la fixation du nombre minimal d’heures entraînant la qualification de travailleur de nuit (art. L.3122-16), de la fixation d’une durée minimale de travail à temps partiel inférieure à celle qui est fixée par la loi à titre supplétif (art L.3123-19) ou encore de la fixation du taux de majoration des heures complémentaires (art. L.3123-21).

Sont ouverts à la négociation, au choix, au niveau de l’entreprise ou au niveau de la branche l’emploi de salariés entre 21 heures et minuit (art. L.3122-19) et les accords déterminant les modalités selon lesquelles les horaires de travail des salariés à temps partiel dont la durée du travail est inférieure au minimum légal sont regroupées par journées ou demi-journées complètes (art. L.3121-20). Si, donc, sur l’un de ces thèmes, il existe un accord de branche et un accord d’entreprise, leur conflit est réglé par application du principe « de faveur ». Entre les deux accords, seules les dispositions conventionnelles les plus favorables aux salariés s’appliquent.

Enfin, même sur les thèmes où la primauté de la norme négociée sur la norme légale, et de la norme négociée dans l’entreprise sur celle de la branche professionnelle, l’inversion de la hiérarchie des normes n’est pas absolue. Elle n’atteint pas les normes supérieures, qu’elles appartiennent au droit français interne, à la législation de l’Union européenne ou à des conventions internationales adoptées dans des cadres géographiques plus vastes.

Ainsi, conservent leur primauté sur les normes négociées à quelque niveau que ce soit :

  • Le principe du droit à la protection de la santé, fondé sur le 11ème alinéa du préambule de la Constitution, dont, en particulier, le Conseil Constitutionnel a déduit celui du droit au repos hebdomadaire, et que la Cour de Cassation a souvent visé comme fondement d’arrêts censurant des accords collectifs relatifs aux forfaits-jours lorsqu’elle jugeait que leurs clauses apportaient aux salariés des garanties insuffisantes au regard de ces principes [3].
  • Les Directives de l’Union Européenne, notamment la Directive-cadre n°89/391/CEE, du 12 juin 1989, relative à la santé et à la sécurité des travailleurs, et la Directive n°2003/88 CE sur l’aménagement du temps de travail, du 4 novembre 2003, qui, notamment, subordonne les possibilités de dérogation à ses dispositions au respect des principes énoncés par la Directive de 1989.
  • la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, du 18 décembre 2000, notamment son article 31, aux termes duquel

    « tout travailleur a droit à des conditions de travail respectant sa santé, sa sécurité et sa dignité. Tout travailleur a droit à la limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés. »

  • et les conventions de l’O.I.T. ratifiées par la France, même si, du fait de l’ancienneté de celles qui touchent au temps de travail et aux repos, le niveau particulièrement bas de leurs prescriptions minimales les rendent peu protectrices pour les travailleurs européens du 21ème siècle.

La primauté accordée à la négociation collective en général et plus particulièrement à celle qui se déroule au niveau de l’entreprise trouve sa justification dans le diagnostic exprimé, notamment, par J-D. Combrexelle, selon lequel, d’une part,

« tant les entreprises que les salariés ont besoin d’une régulation “sur mesure”, eu égard à la diversité de plus en plus grande de milieux de travail en fonction de la nature de l’activité, de la taille et de l’organisation », et selon lequel, d’autre part, « les salariés eux-mêmes et plus particulièrement encore les jeunes générations sont en demande d’individualisation de leurs conditions de travail, de leur temps de travail et d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle [4] » .

Cependant, elle ne signifie pas que l’entreprise ne serait soumise à aucune règle autre que celles qu’elle négocie avec les représentants de son personnel. Le tableau, rapidement dressé, des règles qui limitent la liberté des négociateurs permet à ces derniers d’apprécier à leur juste mesure l’intérêt, les avantages et les inconvénients des dispositions soumises à négociation.


Notes :

[1A compter du 1er janvier 2017, la conclusion des accords collectifs sur ces thèmes nécessite la signature d’OS représentatives dont l’audience électorale cumulée dépasse 50% des suffrages exprimés aux dernières élections de CE ou DUP. Toutefois, si, à défaut d’atteindre ce niveau d’audience, les OS signataires atteignent au moins 30%, elles peuvent provoquer une consultation de l’ensemble du personnel concerné. L’accord est alors validé si la majorité du personnel concerné l’approuve.

[2Loi n°2008- 789 qui, par ailleurs, instituait de nouvelles règles relatives à la représentativité des organisations syndicales et à la conclusion des accords collectifs

[3Par exemple : Cass. Soc. 26/9/2012, n°11-14.540 (C.C. du commerce de gros)

[4« La négociation collective et l’emploi », J-D Combrexelle, Rapport au Premier Ministre, septembre 2015, éd. France Stratégie, p. 91.