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Un manifeste pour le dialogue social !

samedi 20 avril 2019

Edité en octobre 2018, ce livre écrit par trois spécialistes du social Guy Groux, Michel Noblecourt et Jean-Dominique Simonpoli est un ardent plaidoyer en faveur du dialogue social. À la veille du mouvement des gilets jaunes qui va exacerber la relation directe entre certains citoyens et l’État, il montre combien l’histoire a pesé sur les relations sociales de notre pays. Une histoire souvent marquée par la confrontation. Les auteurs affirment leur conviction que la seule voie possible pour rendre à la fois notre économie plus compétitive et améliorer la situation des travailleurs est celle du dialogue et la recherche de compromis entre les partenaires sociaux basés sur la confiance entre les acteurs. Livre à contre-courant de la pensée actuelle dominante ? Peut-être aujourd’hui au regard des sondages mais certainement pas pour préparer l’avenir et revenir à un climat social plus apaisé.

L’ouvrage se termine par quelques propositions pour développer le dialogue social dont l’une ne va pas manquer pas de faire polémique.

Un ouvrage en trois parties chacune signée d’un des auteurs

Dès l’introduction donc, le message est clair : l’engagement des auteurs en faveur du dialogue social est sans faille « bien que beaucoup en doutent, jamais la potentialité du dialogue social n’a été aussi forte alors que le contexte connaît des bouleversements d’ampleur dus aux nouvelles technologies, à la mondialisation et aux transformations des rapports entre l’État et la société ». Affirmation qui dans le contexte actuel a une résonnance particulière… Même si l’image du dialogue social est « ambigüe », son utilité appréciée mais « son efficacité souvent mise en doute » par les salariés et les employeurs, les auteurs considèrent que sans le renforcement des partenaires sociaux, et notamment les syndicats, les efforts en faveur du dialogue social « risquent d’être en deçà des résultats attendus pour ne pas dire vains ! ».

Première partie. Syndicats et partis politiques. Du grand malentendu aux mutations d’aujourd’hui

La première partie, rédigée par Michel Noblecourt [1], traite des relations entre les partis, la gauche en particulier et le développement syndical à travers l’histoire. Il revient sur les ambiguïtés de la loi sur la reconnaissance des syndicats en 1884 qui intervient « soixante ans après la Grande Bretagne ». Un moyen pour le législateur d’inciter les syndicats à la modération face à l’avancée des idées révolutionnaires et pour les intéressés « une loi d’embrigadement et d’enrégimentations ». Autant dire que c’était mal parti ! L’auteur passe ensuite en revue toutes les grandes étapes de l’histoire syndicale de la création des bourses du travail jusqu’au syndicalisme d’aujourd’hui. Histoire marquée par le caractère conflictuel des relations sociales en France, « la lutte des classes » et par les divisions syndicales tout en pointant les occasions manquées de recomposition du syndicalisme français.

Deuxième partie. Le grand chambardement : de l’État à l’entreprise

Dans cette deuxième partie, Guy Groux [2] analyse la mise en cause de l’État au travers des bouleversements économiques de 1975 à 2008 qui ont modifié en profondeur le contenu des lois, les enjeux du dialogue social, l’organisation des entreprises et l’emploi. En introduction, il traite des deux paradoxes qui, selon lui, caractérisent la situation française : le premier est que le syndicalisme français est capable de mobiliser assez fortement dans la rue pour rejeter des réformes voulues par le pouvoir alors que globalement le nombre de conflits sociaux et les grèves ont beaucoup reculé par rapport aux années 50-70 et on négocie beaucoup en France « de plus en plus et sur des sujets de plus en plus nombreux » ; le deuxième est que l’État qui fut, de l’après-guerre jusqu’au milieu des années 90, producteur principal des normes sociales s’est voulu porteur, depuis, de réformes qui donnent la main aux partenaires sociaux en rendant la négociation d’entreprise « un fait incontournable et majeur ». En raison des mutations économiques et sociales, les contours et les contenus du dialogue, le rôle de l’État ont été de plus en plus mis en cause. La place traditionnelle des acteurs en a été bouleversée car ils ont été obligés d’affronter une situation de crise qui a déstabilisé les emplois. « La culture traditionnelle des syndicats et l’idée qu’ils se faisaient du politique, de l’esprit des lois et de l’entreprise » s’en est trouvée profondément heurtée exigeant des remises en cause difficiles. L’auteur se demande si, comme le disent certains, on assiste à « la fin du mouvement syndical » ou à une « transition douloureuse mais porteuse de nouvelles ressources pour les syndicats et la négociation collective ? ».

Troisième partie. Une perspective incontournable : la confiance

La troisième partie rédigée par Jean-Dominique Simonpoli [3] faisant état du syndicalisme dans la société « en crise et profondément divisé » se pose dès le premier chapitre une question redoutable : « Les syndicats sont-ils mortels ». Il invite ceux qui sont attachés au dialogue social à une réflexion en profondeur sur la situation actuelle et aux problèmes qu’elle pose. La contribution du directeur de Dialogues et ancien dirigeant de la CGT fait un bilan du syndicalisme aujourd’hui et de la négociation professionnelle et traite ensuite des conditions dans lesquelles le dialogue social peut être renforcé.

L’auteur regrette la défiance mutuelle qui existe entre employeurs et syndicats qui génère de l’agressivité et des comportements durs qui structurent les relations sociales en France. Cette culture conflictuelle serait aussi causée par la division syndicale qui, à la veille des élections professionnelles, par exemple, provoque des surenchères syndicales dont « tout à un chacun peut, dans son entreprise, mesurer les dégâts au quotidien ».

L’auteur propose enfin de trouver les moyens de renforcer le fait syndical et d’élargir le champ de la démocratie sociale. Ainsi, l’auteur propose aux syndicats de se rapprocher davantage des salariés, de développer le syndicalisme de service et propose de valoriser la fonction syndicale. Il suggère aussi d’élargir le champ de la démocratie sociale dans l’entreprise. Il regrette notamment que les ordonnances ne fassent pas suffisamment la promotion de la codécision en donnant plus de pouvoir aux représentants des salariés dans la gouvernance de l’entreprise.

Mais il insiste surtout sur la nécessité de passer de la défiance à la confiance dans les rapports sociaux et souligne la responsabilité de l’employeur qui doit « faire le premier pas pour créer les conditions favorables à son essor ».

La conclusion sous forme de manifeste

Considérant la faiblesse des syndicats mais aussi les grandes évolutions économiques et technologiques, les trois rédacteurs du livre affirment ensemble que « tout doit être fait pour affermir le dialogue social ». Pour ce faire, ils formulent quelques propositions :

  • Aider les TPE-PME à négocier des accords grâce à une task force composée d’un patron et un syndicaliste de la branche professionnelle de l’entreprise pour accompagner les négociateurs.
  • Créer de nouveaux espaces d’expression des salariés aux côtés des institutions représentatives.
  • Créer des « forums d’expression directe ».
  • Renforcer la légitimité des syndicats en haussant les seuils de représentativité à 15 % (au lieu de 10 % actuellement) au niveau de l’entreprise et à 10 % (au lieu de 8 %) au niveau de la branche et au niveau interprofessionnel.
  • Etablir un droit d’initiative des syndicats à l’ordre du jour des négociations.
  • Pourquoi ne pas envisager une présidence syndicale pour le CSE ?
  • Renforcer la présence et la prise en charge des thématiques liées aux relations sociales dans les choix de l’entreprise en les portant au débat dans les instances dirigeantes de celle-ci.

Dernière proposition et non des moindres : face à la division syndicale, le manifeste propose, sans les nommer, de ramener à deux le nombre d’organisations syndicales qui de fait couvriraient les deux grandes conceptions des rapports sociaux de notre pays.


Source
Le dialogue social en France - Entre blocages et Big Bang (Editions Odile Jacob)- Octobre 2018 :
https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/questions-de-societe/dialogue-social-en-france_9782738146144.php


Notes :

[1Journaliste au journal « Le Monde » spécialiste des syndicats et de la gauche politique

[2Sociologue au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) et Directeur de l’exécutive master « Dialogue social et stratégie d’entreprise » à Sciences Po.

[3Ancien responsable de la CGT, directeur de Dialogues, un de nos partenaires. Il est l’auteur de rapports remis à la ministre du travail Muriel Pénicaud.