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L’utilité sociale des métiers et leur valorisation

mercredi 24 juin 2020

Il faut rendre grâce à la sociologue Dominique Méda pour mettre les mots nécessaires sur les débats, réflexions, grands cris ou volonté d’ignorance autour de l’utilité réelle du travail et des métiers. Elle résume en écrivant, « ce qui saute aux yeux dans cette crise, c’est la grande distorsion entre la hiérarchie du prestige, des salaires d’une part, et l’utilité sociale d’autre part » et « la crise sanitaire appelle à faire mieux coïncider salaires et utilité sociale ». Car, quand nous nous penchons sur ceux qui pendant près de trois mois ont tenu la France à bout de bras, nous voyons certes des personnes qualifiées et bien payées, les médecins, mais majoritairement des professions, plutôt manuelles, peu reconnues, plus précaires et bien peu payées.

Des applaudissements à la reconnaissance

En pleine crise, nous les avons applaudis à nos fenêtres et nous les avons remerciés chaque jour. L’heure est venue de rappeler à tout le monde l’importance et l’utilité de ces métiers et de regarder comment la crise a changé la donne en matière d’utilité sociale. Rappelez-vous le débat sur les métiers essentiels ! Nul doute que chacun s’est senti impacté et a entamé une réflexion sur soi-même. Toutes ces réflexions doivent déboucher politiquement et économiquement sur une reconnaissance réelle en termes de salaires et de carrières car la crise du Covid-19 a fait ressortir les inégalités dont sont victimes les professionnels en première ligne.

L’engagement du Président de la République

En pleine crise, le 13 avril, il a déclaré : « Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de deux cents ans. Nous devons aujourd’hui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe. »



Le coup de projecteur de la crise du Covid-19

Si les salaires sont liés aux efforts, compétences et diplômes des travailleurs, on constate qu’ils ne correspondent pas toujours à la contribution réelle de l’activité de travail à la société en général. Pendant la crise, ceux qui étaient au front étaient pour certains des professions de prestige et de qualifications reconnues comme les médecins et les infirmières mais aussi de nombreuses personnes qui appartiennent aux métiers du care (prendre soin, les aides-soignantes, les aides à domicile, les auxiliaires de vie…), ou aux métiers de la vente, du nettoyage, du transport, de la production (les caissières, les livreurs, les transporteurs, les éboueurs…). Des métiers souvent dits peu ou non qualifiés, métiers qui nécessitent pourtant des compétences liées au savoir-être : être à l’écoute, bienveillance, empathie …et aussi la prise en charge des tâches qui restent à faire. Or, ces activités ont été les plus importantes pour la vie et la survie de la société.

Pourquoi ces différences ?

À cause de nombreuses dérives et pratiques dénoncées par de nombreux chercheurs comme David Graeber, anthropologue et militant anarchiste qui avait publié en 2018 : Bullshit Jobs, a theory, et qui dénonçait que plus un travail est utile, plus il est dangereux et moins il est considéré et payé. Il nous invitait déjà à faire un test très simple : pour savoir si un métier est utile ou non, imaginez sa disparition et regardez les effets sur la société.

Ces dernières décennies, les bas salaires n’ont pas évolué au même rythme que les autres salaires dans un grand nombre d’États membres de l’UE, ce qui a eu des incidences en termes d’inégalités de revenus. Nombre d’études montrent qu’elles sont pour une grande part à l’origine de la progression des mouvements et votes protestataires à travers le monde.

Il faut rappeler aussi dans ce débat que les femmes sont en première ligne dans la lutte contre le coronavirus et qu’elles sont massivement présentes dans les métiers au front, la vente, le care, des métiers qui sont chroniquement sous-rémunérés. De nombreuses chercheuses féministes ont mis en avant depuis bien longtemps que les compétences développées par les femmes dans ces métiers sont considérées comme « naturelles » et n’appellent pas de reconnaissance à travers salaires et classifications.

Comment inventer de nouveaux critères de la rémunération ?

De manière générale, en faisant en sorte que la question des salaires ne soit pas pensée indépendamment d’une vision du travail, de l’entreprise et de l’économie et donc de l’utilité sociale.

Différents leviers peuvent être activés :

  • Faire la transparence sur les rémunérations.
  • Réviser les grilles de salaires faisant mieux coïncider utilité sociale et rémunération.
  • Revoir les classifications des métiers, qui permettent de faire bouger les barèmes de salaire et les conditions de travail associées.
  • Limiter les rémunérations exorbitantes et resserrer considérablement l’échelle des salaires dans les entreprises.
  • Négocier l’égalité professionnelle au sein des entreprises et de manière plus générale au sein des branches, des territoires… en prenant en compte les compétences mobilisées.
  • Mieux utiliser la validation des acquis de l’expérience par exemple dans les métiers du soin pour permettre des changements et accélérations de carrière.

Les premières réponses

Le Ségur de la santé vient de s’ouvrir à l’initiative du gouvernement le 25 mai. Il a pour objectif de tracer l’avenir du système de santé après la crise du coronavirus. La concertation doit déboucher très vite sur des propositions, en vue du « plan massif » promis pour l’hôpital par le président de la République. Des groupes de travail sont en place, autour de quatre piliers principaux : les salaires et carrières, l’investissement, la territorialité et la gouvernance des établissements.

Mi-mai, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, a annoncé vouloir « convoquer toutes les branches professionnelles concernées pour que l’on regarde comment et dans quel cadre elles peuvent prendre en charge l’évolution des salaires » et « revoir les classifications au sein des branches ».

Les syndicats y sont favorables. Pour la CFDT « il va falloir amorcer une discussion sur les salaires, les parcours professionnels ». Cyril Chabanier, président de la CFTC, souhaite une revalorisation salariale et sociale des salariés mobilisés en première ligne durant l’épidémie de coronavirus. Il prône un nouveau contrat social et un nouveau statut du travailleur, avec des droits rattachés à la personne.

L’ONG OXFAM suggère de viser un écart maximal de 1 à 20 entre la rémunération la plus haute et la rémunération médiane dans une entreprise.

Le monde de la finance s’empare aussi de la question. CPR Asset Management, filiale d’Amundi (premier gestionnaire d’actifs en France), a ainsi créé début 2020 un fonds « Social Impact », dont l’objectif est de flécher les investissements vers des sociétés qui contribuent notamment à réduire les inégalités, en prenant en compte le ratio entre le salaire du PDG et le salaire médian.

En guise de conclusion, combler le fossé entre les deux hiérarchies, celle des rémunérations et celle de l’utilité sociale, est un chantier énorme. Mais des mesures de rupture ont été promises une fois la sécurité sanitaire retrouvée. Il ne faudra pas l’oublier.


Sources