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Que sait-on du travail ?

samedi 25 novembre 2023

Que sont les réalités du travail en France s’interrogent Bruno Palier et une soixantaine de chercheurs dans une somme de près de 600 pages. Des conditions de travail aux choix managériaux en passant par la santé, le sens du travail et le rôle des essentielles et des essentiels… tout est passé au crible de l’analyse et de la prospective. Il est heureux que tous ces enjeux, parfois oubliés derrière les chiffres du chômage et les rodomontades politiques, soient ainsi présentés aux citoyens pour qu’ils irriguent les politiques publiques et la négociation collective. Cinq grandes parties structurent l’ouvrage.

De l’emploi au travail

Longtemps l’emploi dans toutes ses composantes (création et localisation des emplois, hausse ou baisse du chômage…) a occupé le devant de la scène sociale. Les conditions de travail et son organisation, l’égalité professionnelle, les risques psychosociaux, les rémunérations… en un mot le travail n’était pas un sujet (sauf au moment des 35 heures). Et puis, depuis les années 2010, les choses ont changé. La baisse du chômage, la crise du Covid et les énormes bouleversements du travail qu’elle a induit ainsi que les débats lors de la réforme des retraites ont rebattu les cartes.

Une mise en lumière

Les évènements évoqués ont mis en lumière des changements profonds dans le monde du travail. La baisse du chômage a changé le rapport entre employés et salariés sur la question des salaires, de la disponibilité de compétences et sur la qualité de vie au travail comme on l’a vu dans le secteur de l’hôtellerie-restauration. Mais ce secteur n’est pas le seul à connaitre des tensions sur le marché du travail. Les salariés s’interrogent globalement sur le sens de leur travail.

Le covid et les confinements ont éclairé les clivages entre travailleurs, ceux qui pouvaient travailler chez eux et les autres qui ne le pouvaient pas et dont les emplois sont essentiels au fonctionnement de notre société. Le télétravail, qui se poursuit, a conduit à interroger l’organisation du travail et le rôle des managers.

Enfin lors de la réforme des retraites le refus majoritaire des salariés s’appuyait sur l’impact de l’intensification du travail et ses conséquences en termes de santé physique et mentale. Travailler plus longtemps était tout simplement inenvisageable pour certains et tout cela a mis le projecteur sur la situation de certains seniors et la nécessité de proposer de vraies politiques à ce sujet.

Cette situation amène à mobiliser d’autres savoirs universitaires

L’objet du livre vise donc à mobiliser d’autres recherches souvent passées sous le boisseau tant était prégnante la question du chômage. Leur analyse fait apparaitre une situation française médiocre et moins bonne que celle de nombreux pays européens quant aux conditions de travail et aux risques psychosociaux. Elle souligne aussi la diversité des situations mais aussi et surtout la concentration des difficultés sur certains groupes : les moins qualifiés, de nombreuses femmes, certains jeunes et seniors, les personnes issues de l’immigration et les handicapés. Elle appelle à agir en fonction de cinq axes.

Cinq grands axes structurent « Que sait-on du travail ? »

  • Insister sur l’importance de l’organisation et du management. Les apports des universitaires montrent le chemin à suivre pour une amélioration de l’organisation du travail aux bénéfice des salariés : qualité des relations humaines, autonomie, sécurité de l’emploi, équilibre entre vie personnelle et professionnelle… ainsi que des formes d’organisation telle que l’organisation apprenante.
  • Saisir l’impact de la digitalisation. Il est évident que la crise du Covid a accéléré la numérisation de notre économie. Certaines questions doivent être posées comme le bénéfice du télétravail et en particulier pour les femmes et sa place dans l’organisation d’une semaine de travail. De même il convient d’ores et déjà d’examiner l’emprise des plateformes et de l’intelligence artificielle sur le travail et d’être attentifs aux dépendances et aux inégalités qui se développent.
  • Prendre en charge les inégalités face au travail. Les inégalités traditionnelles se trouvent renforcées par la polarisation des emplois associée à la digitalisation de la société. Se développent ainsi des situations d’emploi faiblement rémunérées et parfois précarisées de personnes qui travaillent au service des autres. Les femmes restent désavantagées par rapport aux hommes et les personnes immigrées cumulent les difficultés.
  • Combler le manque de reconnaissance des professions essentielles. Elles sont souvent des professions mal rémunérées, mal protégées et la situation n’a pas fondamentalement changé après le Covid. Une des contributions montre que l’absence de reconnaissance des problèmes rencontrés au travail génère un ressentiment social qui débouche souvent sur un ressentiment politique.

En conclusion, un ouvrage à recommander, une lecture utile, pour tous ceux qui veulent prendre à bras-le-corps cette nouvelle donne et en particulier par la négociation collective. Nous retenons enfin que pour les auteurs les salariés français souhaitent participer à la définition de leurs tâches et à l’organisation de leur travail, ils demandent à être davantage associés. Pour Bruno Palier, interrogé sur France info, cette participation entrainerait « une productivité positive ».


Source

  • Que sait-on du travail ? Sous la direction de Bruno Palier. Le Monde, Sciences-Po Les Presses, 2023.