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Une insuffisante prise en charge de l’enjeu compétences par les entreprises

samedi 18 novembre 2023

Les entreprises se plaignent de besoins en compétences non satisfaits. Un tiers des difficultés de recrutements provient d’une absence de main d’œuvre formée, un cinquième est dû à des tensions issues de conditions de travail difficiles et de besoins de formation des salariés. Si l’on intègre dans le panorama le défi des compétences nécessaires face aux transitions numérique et écologique, comment les entreprises font-elles face à l’enjeu compétences ? Le Cereq a puisé dans ses nombreux travaux pour rassembler tout ce qui permet d’éclairer la prise en charge de l’enjeu compétences par les entreprises.

L’état des lieux de la politique de développement des compétences par les entreprises

Le premier élément de la situation est une impression de stagnation de la politique de formation dans les entreprises. Entre 2005 et 2020, le pourcentage d’entreprises formatrices n’a pas changé, de même que celui des salariés formés. Le changement a surtout consisté dans les modes de formation, beaucoup moins de présentiel, avec un essor de l’auto-formation, des formations en situation de travail (AFEST) et, accentué par la crise du covid, l’essor de la formation à distance. Si quelques entreprises ont créé leur centre de formation et même leur CFA après la loi Avenir professionnel (2018), seulement 25 % des grandes entreprises ont une politique de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et compétences) et 22 % des entreprises de moins de 10 salariés sont formatrices.

D’autre part il ne faut pas attendre de la formation initiale une réponse générale car les entreprises ont des stratégies différentes d’embauche des jeunes après leur sortie de formation, en fonction de celle qu’ils ont suivie. Le Cereq donne l’exemple de 3 branches :

  • Le BTP recrute des jeunes issus de formations diverses, avec seulement 40 % de formés aux métiers BTP. Et seulement la moitié de ces derniers y restent après un premier emploi, surtout ceux en CDI, ou issus de l’apprentissage et les jeunes cadres. La réponse par la formation ne peut donc être que partielle, ce sont surtout les pratiques de recrutement et les conditions d’emploi et de rémunération qui sont la clé.
  • Dans les métiers de bouche, les liens avec la formation sont beaucoup plus forts : 78 % des jeunes embauchés ont reçu la formation correspondante.
  • Enfin, dans la métallurgie, on constate des « fuites » très importantes entre formés et recrutés, plus même que dans le BTP : 77 % des jeunes formés à la métallurgie n’y travaillent jamais ! La métallurgie fonctionne surtout par le développement des compétences des salariés déjà en place.

Également, les entreprises ont par la formation continue un levier essentiel du développement des compétences. D’ailleurs les salariés ont un appétit important pour la formation. Et pourtant cela ne se traduit pas toujours par une demande de formation, si les entreprises ne sont pas incitatives par leur politique de développement des compétences et de perspectives d’évolution professionnelle. D’autre part, après la loi de 2018, la formation reste l’apanage des directions d’entreprise : le Cereq qualifie l’état de la négociation de « léthargie ».

Aussi les inégalités d’accès à la formation persistent : 12 % des salariés, essentiellement employés et ouvriers, ont des parcours bloqués, n’ayant accès qu’aux formations règlementaires. Si 32 % des salariés peu qualifiés souhaitent changer de métier, 1 sur 5 seulement de ceux-ci réussit à se reconvertir. En fait les entreprises misent surtout sur le CPF (compte personnel de formation) plutôt que sur d’autres financements (FNE formation) - ce qui renvoie la responsabilité de son employabilité essentiellement au salarié - et ne corrigent pas les inégalités d’accès de leurs salariés à la formation.

L’apport des autres acteurs

Les branches ont un rôle stratégique, en particulier par les 11 OPCO (opérateurs de compétences) qui conseillent et accompagnent les entreprises de moins de 50 salariés : en 2020, 35 % des entreprises de 10 à 50 salariés en ont bénéficié et ont recouru à la formation. De plus les OPMQ (observatoires prospectifs des métiers et qualifications) apportent une anticipation des évolutions et transformations des métiers. Mais toutes les entreprises ne s’en servent pas et nombre d’entre elles parient sur le turn over plutôt que sur un travail sur les conditions de travail et le développement des compétences.

De même le rôle territorial est fondamental car c’est là que se font les mises en œuvre des dispositifs nationaux ou que peuvent être inventés des dispositifs propres pour la co-construction de compétences et l’insertion de publics éloignés de l’emploi, dans l’objectif d’ajuster l’offre de formation, initiale comme continue, aux évolutions technologiques d’une filière et aux besoins territoriaux avec l’entreprise comme partenaire territorial. Entreprises, partenaires sociaux et acteurs institutionnels peuvent aussi y travailler ensemble sur la sécurisation des parcours professionnels et mieux apparier l’offre et la demande. Le Cereq pense par exemple au dispositif « Transitions collectives » qui, à partir de l’identification des emplois fragilisés, permet, avec l’aide financière de l’État, d’organiser des formations de reconversion. Mais les entreprises s’en servent très peu…

Enfin l’État intervient : par la loi Avenir professionnel en créant France Compétences avec la volonté de réorganiser les structures de la formation professionnelle par une centralisation, et par le Plan d’investissement des compétences doté de 15 Mds€ pour les années 2018 à 2022 pour favoriser l’accès à la formation des publics vulnérables. De plus les pouvoirs publics, par le développement des Edec (engagements de développement de l’emploi et des compétences), apportent une aide technique et financière aux secteurs professionnels pour anticiper et accompagner l’évolution des emplois et qualifications et sécuriser les parcours professionnels des salariés de ces branches et en particulier intégrer les nouvelles règlementations écologiques. L’inclusion de la RSE (responsabilité sociale d’entreprise) dans certaines normes ISO est aussi un facteur incitatif. Mais, au-delà des secteurs directement touchés par ces transitions, les entreprises remettent peu en question leurs gestes professionnels et leur organisation du travail.



En conclusion

On voit bien que trop de stratégies d’entreprises ne traitent pas l’enjeu compétences ou insuffisamment, tant dans leurs recrutements que dans leur politique de formation. Pourtant il y a un accord commun pour affirmer que l’enjeu des compétences est essentiel, tant pour les entreprises que pour le pays, comme pour les salariés, à la fois pour assurer la compétitivité des entreprises et de l’économie que pour l’emploi et l’objectif de ne laisser personne en chemin. Pourtant l’étude du Cereq montre les lacunes des entreprises en politiques d’investissement dans les compétences comme en organisations du travail permettant au travail d’être lui-même formateur. Il y a donc là un enjeu à saisir bien davantage et à tenter d’y instaurer concertation, consultation (par les CSE) et négociation pour les sections syndicales d’entreprise.


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