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À son congrès, la CGT n’a pas trouvé de réponse à son déclin

mercredi 5 juin 2019

Perte d’adhérents constante, deuxième place aux élections de représentants du personnel derrière la CFDT, difficultés de mobilisation, le bilan est lourd. Difficile, dans ces conditions, d’impulser une nouvelle dynamique de conquête pour Philippe Martinez et la direction confédérale. Face à son opposition d’extrême gauche qui a monopolisé la parole dans les débats, les dirigeants de la CGT ont paru souvent en difficulté. Au final, malgré les déclarations pour le moins optimistes de Philippe Martinez, la CGT dispose d’une feuille de route qui ne semble pas de nature à changer la donne. La CGT maintient sa ligne contestataire et compte manifestement sur la réforme des retraites pour remobiliser ses militants et les travailleurs.

Pour un syndicalisme de classe et de masse

Face aux échecs de mobilisation enregistrés ces dernières années soit au travers des journées d’action « saute-mouton » contre la loi El Khomri ou les ordonnances Macron, à l’incapacité d’élargir des mobilisations telles que celle de la SNCF en 2018, ou encore à l’attitude adoptée par la confédération à l’occasion du mouvement des gilets jaunes, la question de l’organisation des luttes a été au centre des débats.

C’est cette question qui a dominé les débats de ce congrès au travers d’un clivage entre la majorité confédérale et son opposition. Les uns et les autres en référence à la Charte d’Amiens (congrès CGT de 1905) font de la lutte contre le capitalisme la finalité de l’action syndicale. Le clivage, quelque peu hors sol, porte sur les moyens d’y parvenir et les modalités concrètes d’action.

Philippe Martinez considère que les luttes doivent d’abord se construire au plus près des préoccupations des travailleurs pour les élargir ensuite à l’ensemble des secteurs d’activité en favorisant les convergences notamment à l’intérieur de la CGT. Il lui est ainsi incompréhensible que tous les syndiqués CGT ne soient pas mobilisés au cours des journées d’action nationales interprofessionnelles. Il constate avec amertume que même quand une action est décidée, chacun fait un peu ce qu’il veut et regrette que des appels n’aient pas été relayés réellement par des organisations.

Face à lui et à la direction confédérale, l’opposition composée de militants des fédérations santé-sociaux, chimie, de l’énergie, de l’agroalimentaire et du commerce et de certaines UD telle que celle des Bouches du Rhône demande à la direction d’avoir une attitude offensive en appelant à la grève générale reconductible. Ils reprochent à la direction confédérale son ambiguïté face au mouvement des gilets jaunes et notamment d’avoir signé l’appel commun des organisations syndicales contre le recours à la violence et en appellent à la convergence des luttes.

À cela, Philippe Martinez répond qu’une élite syndicale, aussi avancée soit-elle, ne peut décréter la mobilisation, il faut déjà créer les conditions de la mobilisation à la base en allant à la rencontre des salariés. Sur la question des gilets jaunes, il considère qu’ils ont adopté les mêmes revendications que la CGT et les mêmes modes d’action. Il n’y a aucune raison qu’il n’y ait pas des convergences. Mais il rajoute que l’action ce ne peut pas être uniquement le samedi mais aussi la grève en semaine.

Le secrétaire général a réaffirmé avec force que la CGT était un syndicat de classe. Elle doit aussi être un syndicat de masse qui rassemble les travailleurs et pour lui le rapport de force passe par le développement syndical et les résultats aux élections professionnelles pour regagner la première place.

Le virage réformiste amorcé par Louis Viannet et approfondi durant les années Thibault est bien loin. Les réformistes, s’il en reste, ne se sont fait entendre à aucun moment durant ce congrès.

Qui n’avance pas recule…

Outre ces débats qui peuvent paraître hors du temps dans les raisons probables de son déclin, il y a aussi l’incapacité de la CGT à réellement et définitivement trancher certains débats et à mettre œuvre les décisions de congrès.

Il en est ainsi sur le syndicalisme rassemblé qui a été discuté dans les congrès du début des années 2000 et qui a de nouveau été contesté. En fait, derrière les mots c’est la question de la possibilité d’agir avec la CFDT qui était posée. Celle-ci n’a pas vraiment bonne presse chez les militants CGT. Qualifiée de tous les noms par certains intervenants et sifflée à chaque fois que son nom ou celui de Laurent Berger étaient prononcés, elle est pour beaucoup infréquentable. Eludant la question, la réponse confédérale est que l’union syndicale se fait sur terrain et sur la base des revendications des travailleurs. Philippe Martinez constate que si les conceptions du syndicalisme des deux organisations sont de plus en plus éloignées, cela ne justifie pas les insultes et les invectives. Ce qui n’a pas manqué d’être très critiqué par ses adversaires.

On peut le dire aussi du syndicalisme international où la référence à la FSM comme possible interlocuteur de la CGT a été rajoutée au document d’orientation à la faveur d’un amendement d’apparence anodine. Incapable de contrer l’amendement, la direction confédérale s’est fait mettre en minorité sur un point qui ouvre la porte à une remise en cause de 25 ans de politique confédérale en la matière. Plus grave, Philippe Martinez a lui-même ouvert la voie en soulignant, dès le début de son intervention sur l’activité, les relations que la CGT entretient avec certaines organisations affiliées à la FSM. Bernard Thibault largement impliqué dans la création de la CSI aura apprécié !

Mais c’est surtout l’incapacité de la CGT à faire bouger son organisation interne qui frappe. Congrès après congrès la question des UL et des syndicats de base de la CGT, par exemple, revient presque systématiquement et finalement rien ne semble bouger. Il en est de même des Comités régionaux que la direction confédérale souhaitait renforcer. Faute de la majorité des 2/3 pour voter une modification statutaire qui faisait bouger les lignes, elle a été obligée de la retirer des débats. Sans parler de la lenteur de la mise en place de COGETISE, l’outil de collecte et de répartition des cotisations qui met encore deux ans pour clôturer un exercice de collecte des cotisations…

Le travail, au cœur de la stratégie de reconquête des salariés

Moins clivant que les autres sujets en débat, la question du travail est manifestement le cheval de bataille de Philippe Martinez pour redonner du sens à l’action syndicale.

Sans surprise, il critique les politiques menées durant les mandats de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Constatant que la situation du travail s’est dégradée en matière de salaires, de conditions de travail, de reconnaissance des qualifications, de qualité, d’innovation et de réponses aux besoins de la population, il met en avant 19 propositions pour répondre à l’urgence sociale et environnementale.

Au-delà des questions salariales (augmentation de 20 % des salaires), de l’égalité salariale, de la justice fiscale (« on va vous faire aimer l’impôt ! »), de réduction du temps de travail (32 h sans perte de salaire) ou encore de la protection sociale, il aborde aussi la question des nouvelles technologies plutôt de façon positive et, peut-être pour la première fois à la CGT, la question environnementale. Pour lui « l’urgence environnementale est indissociable de l’urgence sociale ». Il est nécessaire de faire le lien entre organisation du travail et écologie, favoriser les circuits courts et la fabrication de produits durables. « Nous devons être plus présents sur l’écologie : plus visibles, plus concrets ! » a-t-il déclaré.

Parallèlement, il défend l’industrie victime de la casse organisée par la finance et la démobilisation des politiques pour y faire face. Il aborde aussi la question de la défense des services publics, la défense du statut et prône le retour dans la sphère publique des entreprises de transports, des grandes infrastructures dont ADP et de l’énergie.

Ces questions n’ont pas donné lieu à des débats passionnés comme celles de la lutte ou des structures. Personne, durant ce congrès, n’a, par ailleurs, dénoncé l’irréalisme de nombreuses de ces propositions.

Un congrès au goût amer…

Les congressistes et les militants d’entreprise qui l’ont suivi sur internet ont dû être quelque peu désarçonnés par la teneur de ces débats hors sol et à cent lieues de leur réalité.

80 % des délégués du congrès, désignés par un savant et long travail de discussions entre fédérations et UD, assistaient à leur premier congrès confédéral. Si cela peut amener une certaine fraîcheur aux débats, leur inexpérience a pu donner cours à certaines manipulations. Une minorité et souvent les mêmes se sont exprimés pendant les débats. L’organisation de ceux-ci laisse largement la parole aux opposants. Cela donne une impression d’une base largement en opposition avec les dirigeants. Et cela même si les votes, à quelques exceptions près, ont donné un rapport de force de 70 % en faveur de la ligne confédérale.

L’élection à la Commission exécutive confédérale a donné lieu à des débats difficiles L’éviction de la liste de 60 membres présentée au vote du congrès de représentants de la FD Santé et de quelques UD, dont Gisèle Vidallet ex-membre du Bureau confédéral, a été largement critiquée par l’opposition confédérale. Là encore cela a donné un sentiment de malaise dans le congrès faute d’explications politiques claires devant les délégués.

En conclusion, à l’issue de ce congrès on peut se demander où va la CGT

La ligne proposée par l’équipe confédérale qualifiée de « classe » est pour le moins radicale, même si elle a encore été jugée trop molle par son opposition. Elle a peu de chance de donner des résultats positifs et on pourrait refaire les mêmes constats d’échec au prochain congrès. Et ce n’est probablement pas les appels à la mobilisation autour de la lutte des gilets jaunes ou encore de la défense du service public qui pourraient inverser ce constat amer. Un espoir de rebond, toutefois, pour Philippe Martinez, la mobilisation qu’il espère importante et le plus large possible contre la réforme des retraites.

Divisée, sans arête idéologique crédible au regard des enjeux actuels, incapable d’évoluer sur le plan interne, la CGT aura beaucoup de mal à enrayer son déclin.
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Les Votes
TEXTE POUR CONTRE
Rapport d’activité 71 % 29 %
Préambule et Thème 1 69 % 31 %
Thème 2 71 % 29 %
Thème 3 70 % 30 %
Thème 4 65 % 35 %
Thème 5 79 % 21 %
Document d’orientation 71 % 29 %
Détails des thèmes
 Thème 1 : Réalité et avenir du travail avec les évolutions technologiques
 Thème 2 : Nouveau statut du salarié et sécurité sociale professionnelle
 Thème 3 : la construction du rapport de force et convergence des luttes
 Thème 4 : Le déploiement au cœur d’un syndicalisme de masse utile et efficace
 Thème 5 : Les enjeux européens et internationaux

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SOCIOLOGIE DU CONGRES
 938 délégués dont 416 femmes
 76,3 % entre 30 et 60 ans
 87,4 % en CDI
 88 retraités
 Secteur privé : 54,4 %
 Employés-ouvriers : 63,1 %
 Ingénieurs, cadres, techniciens : 31 %

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Sources

  • Écoute du congrès sur internet, et les documents du congrès sur le site de la CGT