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La concentration des emplois contribue aux inégalités salariales

samedi 2 octobre 2021

La concentration des emplois, très forte dans l’industrie, a des répercussions sur les rémunérations et les inégalités. La concentration de gros employeurs s’accompagne de salaires plus bas, surtout pour les salariés les moins rémunérés. Une politique visant à plus d’équité pour les territoires devrait considérer la concentration des emplois comme une source importante de disparités géographiques. L’emploi en milieu rural dépend souvent de gros employeurs, alors que, pour les métropoles, l’emploi est plus diversifié et mieux réparti. La dégradation progressive des conditions de vie locale engendre un fort mécontentement politique (voir le mouvement des gilets jaunes).

De fortes disparités territoriales en France. Entre 2017 et 2018, seuls 2,2 % des travailleurs ont changé de zone d’emploi et entre 6 et 7 % de secteur d’activité. Cette faible mobilité géographique et sectorielle des salariés signifie que la grande majorité d’entre eux reste employée dans le même secteur du même bassin d’emploi.

  • Si un secteur regroupe de nombreux employeurs et qu’aucun d’entre eux n’a un poids important sur le marché du travail local, le salarié aura de nombreuses alternatives pour offrir ses services.

La concentration de l’emploi est défini par un indicateur utilisé (IHH) pour caractériser les pouvoirs de négociation des employeurs et des salariés. Puisque peu de salariés changent de secteur et de zone d’emploi chaque année, un marché du travail est défini comme l’intersection entre un secteur économique et une zone d’emploi.

  • Au sein de l’industrie, 100 sous-secteurs, tels que la sidérurgie, l’industrie du caoutchouc, le filage ou encore la fabrication de meubles, sont distingués.
  • Les 304 zones d’emploi métropolitaines sont celles retenues par l’INSEE, des espaces géographiques à l’intérieur desquels la plupart des actifs vivent et travaillent, dans lesquels les entreprises peuvent « trouver l’essentiel de la main-d’œuvre pour occuper les emplois offerts » et dont la délimitation dépend des temps de déplacement domicile-travail.
  • Une fois le marché déterminé, l’indice Herfindahl-Hirschman (IHH) est utilisé pour mesurer le degré de concentration d’un marché. Lorsque la répartition des emplois se déforme au profit des plus gros employeurs, la concentration augmente.

La concentration des emplois en France apparait élevée confirment la Commission européenne ou le Département de la justice américaine. Ils retiennent un seuil de 0,20 et 0,25 au-delà duquel un marché est considéré comme très concentré.

  • Cet indice atteignait 0,47 en 2018, ce qui correspond à 3 entreprises qui se répartiraient le marché respectivement à 60 %, 30 %, 10 %.
  • Dans l’industrie, l’indice est beaucoup plus fort : 0,62 en 2018, deux fois plus que dans les services (0,35). Le degré de concentration dans l’industrie croît plus rapidement (+7 % entre 1995 et 2018). Il a diminué de 5 % dans les services.
  • Les disparités territoriales sont fortes aussi : en 2018, le degré de concentration dans l’industrie varie de 0,29 en Île-de-France à 0,65 dans la Creuse, ou 0,61 dans le Lot.
  • L’appréciation de tout niveau de concentration dépend des nomenclatures sectorielles et de la définition des zones utilisées.

La faible mobilité des salariés les rend dépendants des conditions locales de leur marché du travail. Il est coûteux de quitter une région au sein de laquelle l’emploi est concentré pour une autre où il l’est moins. Une zone où les emplois sont moins concentrés offre davantage de possibilité d’embauches, mais les prix du logement y sont plus élevés.

Près d’un tiers (31 %) des marchés locaux du travail se trouvent même en situation de monopsone pur (un seul employeur). De quoi donner aux employeurs dominant ces marchés un pouvoir non négligeable sur la fixation des rémunérations.

Des salaires plus bas, une grande vulnérabilité des moins bien rémunérés en fonction de la concentration : les travaux sur l’industrie française entre 1995 et 2018 ont montré que la concentration de l’emploi a eu un effet négatif important sur les salaires. La concentration du marché du travail accroit les inégalités salariales. On le voit au rapport entre le salaire du neuvième décile (les 10 % les mieux rémunérés) et celui du premier décile (les 10 % les moins rémunérés) :

  • Toutes choses égales par ailleurs, le marché du travail serait de près de 22 % supérieur dans un marché du travail au niveau moyen de concentration que par rapport à un niveau de concentration moindre.
  • Le salaire moyen serait inférieur de près de 6 % dans un marché du travail au niveau de concentration moyen dans l’industrie (0,62) par rapport à un marché du travail au niveau de concentration moindre, comme dans les services (moyenne de 0,35).
  • Les salaires du premier décile (10 % des moins rémunérés) serait inférieur de 18 %.
  • Les 1 % les mieux rémunérés sont préservés.

Rôle de la concurrence internationale : l’analyse économétrique conclut à un effet significatif de la concurrence internationale sur la concentration. Une zone dont le secteur textile représentait une part importante de l’emploi en 1995 sera considérée comme étant particulièrement vulnérable aux importations chinoises du textile. Saint -Etienne aura une concentration de l’emploi de 5 % supérieure à une zone d’emploi parmi les 25 % les moins exposées telle que celle de Bordeaux. Cette dimension mérite une attention des politiques territoriales. Le rapport Barrot (2021) propose des pistes utiles, par exemple une mutualisation des fonds de revitalisation favorisant l’arrivée ou le maintien d’employeurs, ou encore la mise en place d’un contrat de réseau sur le modèle italien permettant aux entreprises de petite taille de mutualiser certaines fonctions.

L’accroissement du poids d’un employeur sur le marché du travail (hausse de la concentration) nuit fortement aux ouvriers les moins bien rémunérés, tandis que le salaire des techniciens les mieux payés est moins affecté. Le pouvoir de négociation des plus hauts salaires dépend moins de la concentration des emplois que de la rareté de leurs compétences, souvent difficilement remplaçables au sein d’un marché du travail local. Si les politiques territoriales parvenaient à diversifier les emplois, cela permettrait de diminuer leur vulnérabilité mais aussi d’améliorer le pouvoir d’achat des salariés et de réduire les inégalités.


Références