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Rapport Rocher : la RSE encore trop méconnue des dirigeants d’entreprise

samedi 27 novembre 2021

Plus de 2 ans après la promulgation de la loi Pacte du 22 mai 2019, une première évaluation de sa mise en œuvre sur la définition de l’entreprise a été réalisée sous la responsabilité de Brice Rocher, PDG du groupe ROCHER. Le rapport montre qu’encore trop peu d’entreprises sont devenues des « sociétés à mission » déclarées dans leurs statuts et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) reste un concept largement méconnu des dirigeants d’entreprise. Dommage !

Que propose la Loi Pacte ?

La loi du 22 mai 2019 reconnait dans ses principes que l’entreprise est « un acteur de la société » au même titre qu’elle est un agent économique. Comme il est rappelé dans la lettre de mission de Brice Rocher, la loi a fourni quelques outils pour « mieux intégrer les dimensions sociales, environnementales et sociétales de l’activité des entreprises ». Elle a notamment permis aux entreprises de se fixer « une raison d’être » dans leurs statuts et de devenir une société de mission dotée d’un comité de mission chargé de veiller à sa mise en œuvre. Les entreprises peuvent aussi céder tout ou partie du capital à un fonds de pérennité pour stabiliser leur actionnariat. La loi Pacte encourage aussi une plus grande transparence en direction des parties prenantes de l’entreprise.

Où en est-on aujourd’hui ?

Sur les 120 sociétés du SBF 120 (les plus grandes entreprises françaises), une seule, Danone, s’est dotée de la qualité de société de mission. Neuf se sont dotées d’une raison d’être dans leurs statuts et cinq dans le préambule de leurs statuts. 55 ont déclaré « une raison d’être extrastatutaire ». Plus largement, en juin 2021, 206 sociétés à mission employant au total un demi-million de salariés ont vu le jour. Ce sont essentiellement des sociétés de moins de 50 salariés (70 %), pour la plupart des « start-up » dans le secteur des services (83 % pour 75 % des salariés) contre 10 % dans le commerce (21 % des salariés) et 7 % dans l’industrie (4 % des salariés). Autant dire que l’engagement des dirigeants d’entreprise vers ce que l’on peut appeler un engagement citoyen est pour le moins prudent et en tout cas très minoritaire.

Le rapport fait le point des bénéfices attendus du passage à une société de mission, exprimés lors des multiples auditions réalisées par la mission Rocher :

  • La formulation d’une raison d’être dans les statuts donne un cadre juridique à la culture de l’entreprise ;
  • Cela fédère les acteurs de l’entreprise qui crée une dynamique d’adhésion et d’engagement des salariés ;
  • Cela permet de concilier performance économique et prise en compte des enjeux extra-financiers.

Mais le rapport fait aussi le point des freins au développement de la RSE dans les entreprises :

  • La RSE est un concept peu connu : 58 % des dirigeants d’entreprise ne connaissent pas le concept. 27 % le connaissent mais ne voient pas bien de quoi il s’agit. Seuls 15 % connaissent réellement ce qu’est la RSE…
  • C‘est plutôt une affaire des grandes entreprises dans l’esprit des dirigeants : 67 % des dirigeants des entreprises de moins de 10 salariés ne connaissent pas la RSE et 52 % dans les 10 à 249 salariés. Ils ne sont plus que 26 % dans les entreprises de plus de 250 salariés à ne pas connaître la RSE.
  • Les dirigeants redoutent le risque juridique qu’il y a à devenir une société de mission : ils redoutent des actions en justice de la part de tiers qui pourraient dénoncer un manquement aux engagements pris, surtout si ceux-ci se révèlent trop précis.
  • Les dirigeants regrettent l’absence de contreparties financières ou pratiques à la création d’un fonds de pérennité : régime fiscal spécifique ou accès facilité aux commandes publiques.
  • Ils redoutent aussi un risque de perte de pouvoir dans la gouvernance de leur entreprise notamment face au comité de mission.
  • Et enfin, ce qui s’est passé chez Danone avec la mise à l’écart de son PDG a pu refroidir certains dirigeants…

Le rapport formule des recommandations autour de trois axes : essaimer, crédibiliser et se projeter :

  • Essaimer en communiquant davantage auprès des acteurs qui peuvent influer sur les décisions de l’entreprise notamment les organisations patronales et syndicales, les réseaux professionnels des TPE et ETI mais aussi l’État actionnaire qui pourrait montrer l’exemple et les greffiers des tribunaux de commerce.
  • Crédibiliser en déclinant leur raison d’être dans leur stratégie d’entreprise et sa conduite opérationnelle. Les sociétés à mission pourraient publier « un rapport de durabilité ». Il faudrait par ailleurs préciser le rôle du comité de mission notamment en facilitant les liens qu’il doit avoir avec les instances dirigeantes de l’entreprise qui, le rapport le souligne, doivent toujours assurer la gouvernance de l’entreprise.
  • Se projeter par des incitations fiscales et par le développement européen des sociétés à mission.

Un autre rapport de France Stratégie émanant du Comité de suivi de la Loi Pacte sous la Présidence de Gilles de Margerie tire les mêmes conclusions : des dispositions encore méconnues, des interrogations sur leurs conséquences pratiques et juridiques et leurs contraintes administratives. Enfin, ce deuxième rapport annuel conclut qu’« il est encore trop tôt pour évaluer quantitativement l’impact financier et extra-financier de l’adoption de cette qualité (d’entreprise à mission) ».

On le voit au travers de ces rapports, passer d’un objet strictement économique et financier à une vision sociétale de l’entreprise contribuant à l’intérêt général est une démarche encore trop minoritaire dans le monde patronal aujourd’hui. Les freins exprimés par les dirigeants d’entreprise sont, semble-t-il, nettement plus forts que les bénéfices qu’ils pensent en retirer. Peut-être est-il encore trop tôt pour constater une évolution importante pour ce qui s’apparente à une petite révolution dans la culture patronale ?

Du point de vue syndical, s’engager pour convaincre les salariés et surtout les directions d’entreprises à se saisir des possibilités d’évolution offertes par la loi est un facteur de changement où tous les acteurs de l’entreprise peuvent être gagnants.


Sources