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40 accords de télétravail passés au peigne fin

samedi 26 février 2022

Après les phases obligatoires que nous avons connues depuis 2 ans, le télétravail est un élément installé dans les modes de travail. Peu développé auparavant, son irruption brutale a obligé à en fixer quelques règles en urgence dans les entreprises ou administrations. Les accords se sont multipliés, d’abord dans les conditions d’un télétravail exceptionnel, ensuite dans une perspective plus régulière. Que nous apprend l’analyse de ces accords ? C’est l’objet d’un rapport de l’Anact, Installer le télétravail dans la durée ? paru en novembre 2021.

Les accords sur le télétravail

Dans les 10 premiers mois de 2020, plus de 6 000 accords et avenants mentionnent le télétravail. Mentionnent - par exemple dans les textes sur le temps de travail, le travail de nuit et de weekend, dans les accords NAO sur la rémunération et le temps de travail ou sur le partage de la valeur, dans les accords sur l’organisation de l’activité pendant le covid - mais seulement 20 % d’entre eux en traitent spécifiquement.

70 % de ces textes sont des accords, 20 % des avenants et 10 % des textes unilatéraux de l’employeur. 73 % sont signés par des délégués syndicaux, les signataires sont plus variés dans les entreprises de moins de 50 salariés. Beaucoup de ces textes viennent de PME de 50 à 250 salariés, en premier lieu de l’industrie et des activités scientifiques et de recherche, loin devant la finance et l’assurance, l’automobile, l’information et communication.

Sur cet ensemble, l’Anact a choisi un panel de 40 accords d’entreprises, de taille et d’activités diverses, plus 10 accords expérimentaux et 6 accords organisant le flex office.

L’analyse montre 4 profils d’accords, qualifiés de « réticents », « prudents », « convaincus » et « expérimentateurs ». 1/3 des accords organisent un jour de télétravail par semaine ou moins et la moitié proposent 2 jours maximum par semaine. Cela semble dépendre beaucoup de la nouveauté ou non du télétravail dans l’entreprise, selon que c’est un premier accord ou si on en est déjà à la 3ème ou 4ème génération, tel Renault qui a signé son premier accord en 2008, complété par des avenants en 2010 et 2019 avant un nouvel accord en juin 2021.

Le cadre d’un accord de télétravail

Certains accords ont explicité les enjeux amenant à la conclusion d’un accord de télétravail : participer au développement durable en diminuant les transports, tenir compte des évolutions de la relation de subordination avec un besoin de plus de souplesse et d’autonomie et de celle des pratiques de travail et de l’espace de travail.

Parfois, des enquêtes, groupes de travail et des comparaisons (benchmarks) ont préparé la négociation. Il a pu être décidé de passer par une expérimentation avant d’élaborer un accord, et d’assurer un suivi des impacts et des ajustements nécessaires, avec des indicateurs, des référents, des comités.

La définition du cadre lui-même peut comporter, selon les cas :

  • Bien que non obligatoire, la rédaction d’avenants aux contrats de travail, avec la durée, le lieu, les modalités, la période d’adaptation, les plages de joignabilité, la mise à disposition du matériel, les règles d’organisation, les modalités de suspension et de réversibilité. Comme certaines circonstances peuvent amener la nécessité d’ajustements, l’Anact pense que l’avenant ne doit pas devenir une contrainte et comporter une formule anticipant la possibilité d’ajustements « par tout moyen ». D’ailleurs sa première recommandation est celle de définir un cadre ajustable.
  • Le nombre de jours, avec la distinction entre télétravail régulier, occasionnel, flexible ou exceptionnel.
  • Le volontariat et l’accord ou refus – motivé – du manager.
  • Les périodes d’adaptation. Pour que les salariés puissent télétravailler positivement, l’Anact propose (recommandation n° 3) de favoriser les dynamiques d’apprentissage, par les pratiques managériales (formation, échange de pratiques…).
  • Les clauses de réversibilité, très présentes dans les accords.
  • Celles de suspension, selon qu’elle sera provisoire, permanente ou exceptionnelle.
  • Les critères d’éligibilité. Dans ces accords, les critères sont le plus souvent définis par métiers, alors que beaucoup de métiers comportent des activités et tâches télétravaillables et d’autres qui ne le sont pas. L’Anact milite donc, c’est sa 2ème recommandation, pour que les critères d’éligibilité se réfèrent aux activités télétravaillables et non aux métiers afin d’ouvrir le télétravail à tous ceux qui peuvent l’exercer, même en partie.

Le tout sans rigidification excessive des procédures, car les circonstances de l’activité comme celles des salariés sont souvent soumises à changements : ainsi la recommandation n°4 prône d’adapter un formalisme proportionné aux besoins de l’activité, …et pas plus !

6 dimensions organisationnelles explicitées dans les accords

  • La première concerne les espaces et lieux de travail. On trouve systématiquement en premier le domicile dans les accords, avec une exigence de qualité permettant la santé au travail. Or la réalité des logements fait que les conditions sont parfois incompatibles. La 5ème recommandation de l’Anact appelle alors à des alternatives au télétravail à domicile, ce qui est rarement proposé dans ces accords. Mais, dans ce cas se posent les questions de la location d’un espace de coworking ou autre lieu et de son paiement.
  • La 2ème question est celle de l’équipement et outils numériques. En plus du portable et du téléphone, certains prévoient des équipements complémentaires, écran, casque, souris…, avec une grande diversité dans la prise en charge des frais de mise en œuvre, qui varie de 0 à 300 € par an.
  • Les articles des accords sur le temps et la charge de travail reprennent surtout les aspects légaux, avec les plages de joignabilité, l’entretien annuel sur la charge de travail, parfois le relevé des heures par le salarié. L’Anact recommande (n°7) de ne pas multiplier les mesures de contrôle. Le droit à la déconnexion est souvent mentionné, mais avec peu de mesures concrètes, malgré quelques exceptions : éteindre les téléphones, accès informatiques coupés le soir et la nuit. Et seuls quelques accords organisent un suivi régulier de la charge de travail par l’échange régulier avec le manager. L’Anact propose (n° 8) de prévoir un système d’alerte sur les surconnexions et un travail d’analyse des causes de surcharges et tensions recherchant des solutions aux problèmes identifiés.
  • Le télétravail fait évoluer les pratiques managériales en transformant les missions du management. Ces changements comportent des risques de surcharge pour les managers par la hausse du travail de coordination des équipes, le suivi individualisé, l’articulation des procédures de gestion individuelle avec les besoins d’organiser l’activité collective, ainsi que la transformation des pratiques de travail avec les clients et fournisseurs. Quels moyens d’accompagnement et de soutien des managers ? Assez peu, mais sont quelquefois prévus une documentation, de la formation, des ateliers et une information et sensibilisation à la prévention des risques psychosociaux. Aussi, soutenir le management à distance est la 10ème et dernière recommandation de l’Anact.
  • Le rapport au collectif est une dimension forte. Il faut (ré)organiser le travail en équipe, rechercher un équilibre entre les attentes individuelles et les exigences de l’activité, collectivement. Le maintien du lien social et les enjeux de cohésion sont vus comme essentiels dans la plupart des accords, de même que l’intégration des nouveaux arrivants, proposant des échanges collectifs réguliers.
  • Enfin la dernière dimension est celle de la prévention des risques professionnels. Dans ces accords, la prévention primaire est souvent mentionnée mais rarement développée, en particulier la détection des signaux faibles de troubles par les managers est peu outillée, sinon que cela doit être mentionné dans le document unique (DUERP) et parfois un recours à un psychologue ou à un médecin du travail. Aussi l’Anact préconise (n° 9) de prévoir des coopérations renforcées au service de la prévention. Sont plus souvent prévus des aménagements pour certaines populations : seniors, femmes enceintes, travailleurs handicapés. Mais le rapport entre le télétravail et l’égalité professionnelle est jusqu’à présent rarement développé, alors que cela devient une obligation dans la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle.

Au total, la négociation sur le télétravail s’est développée à la faveur de son obligation amenant à son développement. Beaucoup, dans les plus de 6 000 accords, se contentent de mentions. Quand ce sont des accords centrés sur le télétravail, le travail de l’Anact montre qu’il y a déjà de véritables contenus, mais qu’on trouve rarement la bonne formule, parfaite, du premier coup, avec la bonne organisation et les pratiques managériales adaptées. D’où le souci de faire les apprentissages nécessaires, de proposer des modalités d’accompagnement et de suivi, de tester et ajuster pour obtenir une nouvelle organisation du travail adaptée. C’est donc un gros chantier à suivre dans les négociations d’entreprise.


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