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Brexit : la guerre de la saucisse aura-t-elle lieu ?

mercredi 1er septembre 2021

On sait que les zones territoriales de pêche restent un casse-tête permanent, on sait que les règles financières de l’UE pour la place de la City dans la finance européenne n’ont pas été réglées, on craignait pour le non-respect du protocole sur l’Irlande du Nord mais vraiment, on ne pensait pas que cela se cristalliserait sur la libre circulation de la saucisse du « traditional english breakfast » !

Pourquoi une crise sur la saucisse ?

L’accord signé il y a 20 mois par le Royaume-Uni et l’Union européenne comportait un Protocole sur l’Irlande du Nord préservant l’accord dit du « Good Friday » en garantissant la libre circulation entre l’Irlande du Nord (appartenant au territoire britannique) et la République d’Irlande. Cela impliquait que les contrôles de marchandises se fassent entre les deux côtes dans les ports d’Irlande du Nord. Cet accord a toujours été combattu par les « Unionistes » irlandais qui y voyaient une mise en cause de l’appartenance de cette « région » au Royaume-Uni et donc une réunification de fait entre les deux parties de l’Irlande. Une part importante des contrôles concerne les normes agroalimentaires, l’UE ne voulant pas que des produits ne correspondant pas à ses normes puissent entrer dans l’UE via l’Irlande du Nord. Dans ces produits agroalimentaires se situent en particulier les saucisses et autres viandes réfrigérées telles que les viandes hachées. Les contrôles ont généré des retards et des difficultés de livraison mais l’application du Protocole peut entrainer l’interdiction de ces produits si les contrôles ne sont pas mis en place par le Royaume-Uni.

Plusieurs points se sont déjà révélés problématiques dans l’application du Protocole mais certains ont été facilement réglés comme la livraison de médicaments ou de plantes en pots. Les problèmes liés à l’alimentation sont les plus difficiles.

Une remise en cause de l’accord sur le Brexit

On savait problématique ce Protocole sur l’Irlande. La grande hypocrisie de Boris Johnson et de son gouvernement a été de conclure un accord avec l’Union européenne pour finaliser le Brexit en sachant qu’ils ne le respecteraient pas. Déjà en septembre 2020 le gouvernement britannique avait présenté une loi permettant de contourner l’accord UE-RU en supprimant les contrôles sur les marchandises entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, en donnant aux ministres britanniques le pouvoir de modifier ou de ne pas appliquer les règles relatives à la circulation des marchandises à partir du 1er janvier 2021 et enfin le pouvoir de déroger aux obligations convenues en matière d’aides d’État et de soutien aux entreprises. La menace est à nouveau brandie d’une action unilatérale en invoquant l’article 16 permettant cette mesure unilatérale pour maintenir l’approvisionnement sans entrave du Royaume-Uni dans la région nord-irlandaise. Mais cela donnerait lieu aussitôt à des représailles communautaires en réinstaurant des taxes sur tous les produits britanniques !

En fait le Royaume-Uni ne demande pas moins que de renégocier l’accord conclu il y a maintenant 20 mois après quatre années de négociation, ce qui est impensable pour l’Union européenne.

Le gouvernement britannique est sous pression des Unionistes du DUP, fervents partisans de la couronne, qui demandent la suppression du Protocole et qui ont engagé une procédure judiciaire pour contester celui-ci qui, pour eux, met en cause l’unité territoriale du Royaume-Uni. Cette situation ravive les tensions communautaires entre les catholiques et les protestants.

Boris Johnson accuse l’UE d’être « inflexible et puriste » alors que celle-ci se déclare prête à accorder plus de souplesse mais se refuse bien sûr à renégocier un accord signé par…Boris Johnson !

Une période de grâce avait déjà été accordée jusqu’au 30 juin 2021 pour la mise en œuvre du Protocole, mais le gouvernement britannique n’a pas pu ou plutôt pas voulu mettre en place les infrastructures et moyens de contrôle car, de fait, il n’en voulait pas !

Finalement l’UE a accepté de prolonger le délai de grâce jusqu’au 1er octobre 2021 pour la mise en place des mesures de contrôle mais cela ne règle rien par rapport à la volonté du gouvernement britannique de ne pas appliquer ces contrôles.

L’automne va être chaud pour la saucisse !

Tension sur l’emploi

Entre la pandémie et le Brexit la situation de l’emploi est gravement perturbée en Grande-Bretagne. Les régions manufacturières du nord-est, celles qui avaient permis à Johnson de gagner les élections, sont les plus affectées avec une baisse des investissements étrangers en particulier dans l’automobile et les transports et une baisse des exportations. Le directeur général de la Chambre de Commerce des entreprises du nord-est a révélé que, selon une enquête interne, 75 % de ses membres ont déclaré que leurs finances avaient été affectées par les procédures administratives liées au Brexit tandis que 37,5 % ont déclaré que leurs volumes d’échanges entre la Grande-Bretagne et l’UE en avaient souffert.

Les règles de migration post-Brexit ont également des conséquences extrêmement importantes sur l’emploi. Le patronat britannique CBI (le MEDEF anglais) s’en inquiète en déclarant que les pénuries de main d’œuvre freinent la reprise économique du Royaume-Uni et qu’il faut assouplir les règles de migration et de visas.

Selon l’Office national de statistiques, le nombre de travailleurs roumains et bulgares a chuté de 24 % (près de 90 000) depuis fin 2019 et cela est vrai aussi pour d’autres travailleurs de pays de l’Europe centrale et orientale membres de l’Union. Ces travailleurs occupaient des postes mal rémunérés dans les secteurs des transports (camionneurs), de manutention des marchandises, dans l’agroalimentaire (des dizaines de milliers de travailleurs agricoles et 14 000 dans les usines de transformation de la viande). Pour les chefs d’entreprises la situation peut entrainer la pire crise de la chaine d’approvisionnement du Royaume-Uni depuis les années 70 et pourrait être catastrophique pour la période de Noël. Cette pénurie est vraie aussi pour les secteurs à haute qualification comme les services de santé et de soins déjà sous tension avant la pandémie.

Lentement mais sûrement le Brexit commence à produire ses effets négatifs sur le Royaume-Uni, malheureusement ce sont les travailleurs et citoyens britanniques qui vont en payer le prix.