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Comment la pandémie a changé les organisations du travail en Europe, l’émergence du télétravail

samedi 27 mai 2023

Partout en Europe le télétravail semble s’ancrer dans les habitudes des salariés et pose de ce fait un certain nombre de questions redoutables. Une enquête récente de la Fondation Jean Jaurès s’interroge sur l’émergence ou pas d’un modèle européen unique d’organisation du travail et sur les attentes des salariés européens. Ce premier bilan sera suivi d’autres développements car ces travaux, commencés en juin 2020, marquent le point de départ de plusieurs autres mois d’analyses de terrain à venir.

Une enquête quantitative dans six pays de l’UE

Il s’agit de la France, l’Allemagne, la Suède, la Finlande, l’Espagne et la Pologne. L’enquête est un partenariat entre la Fondation Jean-Jaurès, la Fondation Friedrich-Ebert et le cabinet Selkis. 3 388 salariés de bureau ont été interrogés dont 564 en France. L’enquête a été réalisée du 6 au 13 juillet 2022.

L’impact de la technologie sur l’avenir du travail

Déjà, avant la pandémie, il y avait beaucoup de débats autour des répercussions de la technologie sur l’avenir du travail. En France, la mobilisation contre la réforme des retraites a mis au grand jour la question du travail déjà portée par les syndicats européens et l’OIT mais parfois sous-estimée ou ignorée par les politiques et les médias.

Force est de constater que la pandémie de Covid 19 a accéléré les changements et les interrogations car de nombreux pays, entreprises et travailleurs se sont tournés vers le travail à distance pour enrayer la transmission du Covid-19. Cela a radicalement changé notre façon de travailler. Les réunions virtuelles à distance sont désormais monnaie courante, et l’activité économique s’est intensifiée sur toute une série de plateformes numériques.
Pour la Confédération européenne des syndicats, qui fête ses 50 ans cette année, la question est de savoir comment récolter les bénéfices de cette expérience de travail à distance – pour les employeurs et les travailleurs – sans pour autant perdre la valeur sociale et économique du travail en tant que lieu physique. Comment cette expérience peut éclairer la façon de nous adapter à un avenir proche ?

Le télétravail en Europe, un sujet complexe et politique

Selon l’enquête, un modèle européen d’organisation du travail émerge et s’installe, en particulier la segmentation entre les travailleurs en première ligne – pour soigner, nourrir, transporter – et les autres, restés à domicile. Cela a marqué une nette différenciation au sein du groupe des salariés.

En analysant les dynamiques entourant le travail en présentiel et le travail à domicile, l’enquête montre que dans des proportions similaires, tous les salariés européens souhaitent travailler la moitié du temps au bureau et l’autre moitié du temps en télétravail à domicile. En effet, 73% des Européens souhaitent travailler dans un bureau au moins la moitié du temps, tandis que seulement 20% souhaitent télétravailler uniquement. Cet élément signifie combien le bureau reste un lieu central du travail et qu’il n’est pas complètement délaissé par les salariés. Le télétravail semble être le souhait de travailler à domicile, car les salariés européens ne sont pas massivement attirés par les tiers-lieux et les espaces de coworking, etc.

La popularité du télétravail

L’autrice de l’enquête, Sarah Proust, analyse d’abord les différentes règles qui régissent le télétravail dans les différents pays étudiés et s’intéresse plus précisément à sa popularité. Très majoritairement, les enquêtés répondent que le télétravail est une bonne chose et pour les salariés (84%) et pour les organisations (82%), et les chiffres suggèrent que plus le télétravail se pratique, plus il est considéré comme une bonne chose (respectivement 94% et 92%). Le télétravail semble s’installer de manière durable dans l’ensemble des entreprises européennes : les salariés de bureau du panel européen répondent à 78% que le télétravail est prévu et à 37% de manière régulière.

Quel est la valeur des tâches télétravaillables ?

Pour 66% des sondés les fonctions télétravaillables sont aussi importantes que les fonctions des postes en présentiel, mais une minorité, 25%, estime qu’elles sont moins importantes. C’est en Suède, que ce dernier chiffre est le plus élevé : 33% des Suédois pensent que ces fonctions sont moins importantes que les fonctions des postes en présentiel.

Enfin, 75% du panel européen répond que le télétravail est une avancée sociale – et qu’il améliore considérablement les conditions de vie – plus que les conditions de travail. Le télétravail apparaît alors comme un sujet qui draine avec lui de nombreux autres sujets de société (conciliation vie familiale-vie professionnelle, mobilité et transports, logement, développement des territoires…). D’autres enquêtes alertent sur une situation dégradée de la situation des femmes en télétravail.

Le télétravail est une dichotomie car, s’il apporte un confort de vie salué par tous ceux qui le pratiquent, il induit aussi un éloignement avec la socialisation liée à la vie de bureau.
Le télétravail change le travail

En conclusion l’enquête aborde des questions incontournables et parfois redoutables :

  • « Au nom de l’égalité entre les salariés, doit-on accélérer la dématérialisation des tâches pour ouvrir le télétravail à des métiers qui n’y sont pas adaptés aujourd’hui ? N’y a-t-il pas une contradiction à vouloir dématérialiser toutes les démarches administratives, rendant ainsi possible le télétravail pour des agents publics, dont le rôle est aussi la proximité et le lien avec les usagers ?
  • N’est-ce pas absurde de laisser les salariés travailler chez eux en leur imposant des horaires de travail de bureau ?
  • N’est-il pas étonnant de favoriser une pratique d’individualisation du travail qu’est le télétravail tout en maintenant des cadres fixes pour tous ?
  • Peut-on conserver à l’identique une animation d’équipe, la fixation des objectifs, l’évaluation du travail à l’heure de la fragmentation des lieux de travail ? ».

Pour Sarah Proust ces quelques questions montrent combien le télétravail interroge le travail, son devenir, la manière dont il se pratique et les lieux où il s’exerce. Elles rejoignent les préoccupations des syndicats et leurs demandes tout au long des débats sur la réforme des retraites ainsi que les travaux actuels sur les Assises du travail en France.


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