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Coronavirus et (ou) Brexit, That is the question !

samedi 6 juin 2020

La question peut sembler triviale concernant une pandémie aussi meurtrière, pourtant certains analystes politiques britanniques ont souligné que l’obsession de l’ouverture des négociations entre le Royaume-Uni et l’UE sur le Brexit, en début de l’année, a conduit Boris Johnson à négliger la menace de la pandémie et à retarder les décisions de prévention comme le confinement. Résultat, le taux de malades et le taux de mortalité sont les plus élevés de tous les pays de l’UE.

Quant aux négociations, au moment où elles ont repris cette semaine, elles prennent une mauvaise tournure à l’approche de l’échéance du 30 juin, date limite de demande de prolongation de la négociation au-delà du 31 décembre 2020. Négocier un accord d’ici cette date semble impossible, surtout avec le retard pris pendant la pandémie. Boris Johnson serait-il assez fou pour quitter l’UE sans aucun accord et se retrouver en simple partenaire sous les règles de l’OMC ?

Où en sommes-nous depuis janvier ?

Les négociations entre l’UE et la Grande Bretagne ont commencé le lundi 2 mars, pour décider de la forme et du fond du (peut-être) futur accord sur les relations entre l’Union et le Royaume-Uni. L’accord de retrait du 31 janvier ne garantit que les droits des citoyens britanniques et européens présents dans l’UE et dans le Royaume-Uni, la paix en Irlande par la non-instauration de frontières physiques entre l’Irlande du Nord et la République irlandaise et le règlement des engagements financiers de la Grande Bretagne vis-à-vis de l’UE. Il reste encore à vérifier sa mise en œuvre et en particulier les dispositifs de contrôles douaniers entre l’Irlande du Nord et le reste de la Grande Bretagne puisqu’il a été décidé qu’il n’y aurait pas de contrôle entre l’Irlande du Nord et la République irlandaise. Grande sera la tentation des industriels et entreprises de Grande Bretagne de faire transiter leurs marchandises par l’Irlande du Nord pour ne plus avoir de contrôle pour ensuite passer vers la République d’Irlande et vers le continent européen pour avoir accès sans taxe aux marchés de l’UE. Grande sera aussi la tentation des autorités britanniques de ne pas faire de zèle sur les contrôles…

Nous sommes dans une sacrée partie de poker-menteurs, jeu où excelle Boris Johnson mais, il a en face de lui un adversaire calme et déterminé avec Michel Barnier qui n’est sensible ni aux chantages et ni aux rodomontades. La négociation doit atteindre un point vital le 30 juin car si les négociations ne sont pas assez avancées Boris Johnson pourrait demander une prolongation au-delà du 31 décembre 2020 ce qu’il affirme ne pas vouloir faire. Cela veut dire qu’il préférerait arrêter les négociations fin juin et ne pas avoir d’accord pour devenir un simple pays tiers de l’UE dépendant des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L’UE a environ 750 accords commerciaux avec des pays tiers qui ne seront plus applicables pour le Royaume-Uni qui devra les renégocier, si elle le veut, un par un. La perspective d’un accord entre les USA et le Royaume-Uni ne peut en rien compenser l’accès au marché européen (À noter d’ailleurs une déclaration commune, le 13 mars, entre le TUC et les syndicats américains de l’AFL-CIO demandant que tout accord commercial entre les deux pays doit accorder la priorité aux emplois et aux droits des travailleurs) .

Positionnement des forces

Le Parti Travailliste est enfin à nouveau en ordre de marche. Keir Stamer, le candidat « centriste » pro-européen, a été élu en remplacement de Jeremy Corbin dont la radicalité a conduit le parti à un désastre historique. Les premières passes d’armes entre Johnson et Stamer au Parlement ont tourné en faveur du Travailliste. Boris Johnson est affaibli par une gestion erratique de la crise sanitaire et un scandale qui touche son conseiller principal, Dominic Cummings, qui n’a pas respecté les règles de confinement et qu’il refuse de sanctionner, ce qui crée des remous à l’intérieur même du parti Conservateur. Il faut dire que Dominic Cummings est l’artisan du succès de Boris Johnson après avoir mené la campagne pro-Brexit.

Les syndicats britanniques du TUC continuent de défendre le maintien d’une harmonisation sociale avec l’UE et exprime ses craintes sur la récession cumulée des effets de la pandémie et du Brexit et sur les effets industriels, en particulier sur le secteur automobile, de cette rupture avec l’UE. Le patronat de la confédération CBI est sur une même ligne de la plus grande proximité des règles entre l’UE et le Royaume Uni pour accéder facilement au marché européen.

Et maintenant ?

Des négociations exploratoires ont eu lieu en avril et début mai mais les vraies négociations reprennent avec Michel Barnier et David Frost cette première semaine de juin.

Cette reprise des négociations a été précédée d’un échange de lettres musclées qui annonce une épreuve de bras de fer d’ici la fin juin avant l’échéance cruciale du 1er juillet pour la demande ou non d’une prolongation des négociations.

Le négociateur britannique David Frost, après avoir déjà accusé l’UE de postures idéologiques (sic), a envoyé une lettre à l’UE le 20 mai, lui demandant de ne plus traiter la Grande Bretagne comme un partenaire « indigne » en l’obligeant à se « plier aux normes européennes » et à accepter la compétence de la Cour de Justice européenne sur les litiges entre les deux partenaires. La Grande Bretagne souhaite un accord similaire à celui avec la Norvège (en oubliant que celle-ci fait partie de l’Espace économique européen (EEE) donc respecte les normes européennes…) ou au Canada en oubliant que la proximité du Royaume Uni et son niveau d’intégration au marché européen n’est pas du tout le même…En fait la Grande Bretagne refuse tout idée d’alignement, d’harmonisation et de maintien des réglementation existantes et défend, comme par exemple pour les exigences phytosanitaires un mécanisme d’équivalence des réglementations. C’est vrai aussi pour les conditions sociales ou environnementales sur lesquelles la Grande Bretagne veut rester seule maitrsse des normes. Cela est inacceptable pour l’UE qui défend le maintien d’une harmonisation par le principe de non régression (ce que défendent aussi les syndicats britanniques du TUC qui craignent une remise en cause des directives communautaires sur le temps de travail, le congé parental, les contrats à temps partiel et à durée déterminée, la santé-sécurité…).

La réponse de Michel Barnier a été très ferme et remet en place David Frost sur ses affirmations trompeuses voire mensongères. L’UE ne veut pas que se développe, à côté d’elle, une économie dérégulée remettant en cause une concurrence équitable (ce qui, en en langage communautaire, s’appelle le « level playing field »). Ce qui conduirait à l’abandon des normes européennes en matière économique, sociales et environnementales ou dites à la façon britannique, sous une autre forme, la Grande Bretagne veut pouvoir « diverger » des règles européennes.

Cette prises de position à la reprise des négociations promettent de vives négociations !

Va-t-on vers un No Deal (non accord) ? Cela semble probable si le Royaume Uni ne demande pas une prolongation des négociations. Cette perspective ne semble pas faire peur au gouvernement britannique de Boris Johnson qui aurait alors à gérer deux crises simultanément : la crise sanitaire (la pandémie a montré le délabrement du système de santé britannique) et la crise économique de sortie de l’UE sans accord. Sans compter que la division du pays reste entre les différentes composantes du Royaume Uni avec les prises de position différentes du Pays de Galle et de l’Ecosse. Et le cas de l’Irlande du Nord qui demeure plus que jamais problématique dans cette gestion du Brexit.

Il est d’autant plus important de constater qu’au moment où la Grande Bretagne négocie son avenir hors de l’UE, celle-ci, après avoir été faible dans sa réponse commune face à la pandémie, propose une relance exceptionnelle avec un budget de 750 milliards. On voit enfin resurgir le moteur franco-allemand. La proposition commune (ce qui est une évolution décisive du positionnement allemand) Merkel/Macron d’un plan complémentaire de 500 milliards a été fondamentale. Cette capacité, espérons-le, d’une relance européenne aura un gout amer pour les Britanniques…


PS :

Ne jamais oublier que Boris Johnson n’a jamais reculé devant aucun mensonge pour dénigrer l’Union européenne quand il était le correspondant du journal The Telegraph à Bruxelles au début des années 90. Il est ainsi « l’inventeur » d’une soi-disant volonté des autorités européennes de réglementer la courbure des bananes, la dimension des préservatifs (sic) ou d’interdire les chips au gout de cocktail de crevettes…