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L’entretien professionnel, une mise en œuvre partielle et décevante

mercredi 27 avril 2022

Inventé par les partenaires sociaux en 2003 et précisé dans l’ANI du 14 décembre 2013, l’entretien professionnel est entré dans la législation du travail par la loi de réforme de la formation professionnelle de 2014 et réformé par la loi Avenir professionnel de 2018. En principe appliqué depuis le 1er janvier 20015, où en est-on de sa mise en œuvre ? C’est à ce bilan que s’est attaqué le Cereq, à partir de l’enquête Défis (2015-2018) et par des entretiens complémentaires avec des DRH (2018-2019) ainsi qu’en intégrant les nouveaux éléments liés à la crise du covid.

Rappel du dispositif

L’entretien professionnel est un dialogue entre le salarié et l’employeur sur ses perspectives d’évolution professionnelle et de formation. Il est donc différent de l’entretien annuel d’évaluation. Il doit être réalisé tous les 2 ans. Et tous les 6 ans un entretien-état des lieux doit vérifier que les entretiens professionnels ont bien eu lieu et que le salarié a bénéficié d’au moins une formation non obligatoire ; sinon, l’entreprise (50 salariés et plus) est contrainte d’abonder de 3 000 € le CPF du salarié.

L’échéance de l’entretien des 6 ans pour les salariés en poste au 1er janvier 2015 était pour la première fois en mars 2020, reportée cause covid au 31 décembre 2020 puis au 30 septembre 2021. Pour les entreprises n’ayant pas rempli leurs obligations, les premiers abondements correctifs devaient se faire en 2021, reportés jusqu’au 31 mars 2022.

Une mise en œuvre partielle qui ne progresse pas (2015-2018)

En 2015-2016, 54 % des salariés ont eu leur entretien, mais 52 % en 2017-2018. La mise en œuvre augmente avec la taille des entreprises, surtout à partir de 250 salariés et plus (70 %) et selon les types d’emplois occupés (41 % pour les ouvriers et 34 % pour les employés seulement). L’information n’est pas encore diffusée à tous : seulement 53 % ont été informés par leur employeur, même si 73 % disent connaitre. Là aussi, les chiffres sont plus forts dans les entreprises plus la taille est importante, et les cadres et professions intermédiaires sont les plus informés.

De plus, l’entretien professionnel est souvent confondu avec l’entretien annuel d’évaluation du travail réalisé, et collé à lui. L’évolution professionnelle y est abordée (80 %) mais peu d’entretiens débouchent sur de la formation, qui est évoquée surtout s’il y a des projets internes à l’entreprise, très peu en cas de projets de mobilité externe.

Également, ces entretiens ont généralement peu d’effets sur le parcours des salariés. Si dans 59 % des entretiens les salariés ont formulé une demande de formation et dans 51 % une demande d’évolution professionnelle, moins d’1/3 des entretiens ont débouché sur une formation, seulement 10 % sur une promotion et 11 % sur un changement de poste ou de fonction.

Une mise œuvre formelle

Les enquêtes qualitatives de 2018-2019, effectuées en Auvergne-Rhône-Alpes, montrent que ce n’est vraiment pas un sujet stratégique pour les responsables RH. Ils le voient surtout comme une obligation formelle à remplir pour éviter la sanction financière des 3 000 € au bout de 6 ans. Ils ont mis en place des processus très formalisés de déroulement plus qu’un souci de contenu. Et tous les salariés n’y passent pas : managers non disponibles, salariés absents ou réticents… L’enquête montre aussi que le suivi des demandes des salariés n’est pas toujours bien organisé ou même effectif.

De plus, les entretiens sont souvent confiés aux managers, le plus souvent pas formés à cela, peu informés des possibilités existantes d’évolution dans l’entreprise, donc « ne pas faire de promesses aux salariés » leur dit-on, et qui souhaitent surtout garder leur équipe plutôt que penser mobilité, même interne.

L’usage de l’entretien professionnel depuis la crise sanitaire

Dès le premier confinement, le gouvernement a prolongé les échéances pour la réalisation des entretiens des 6 ans pour leur laisser le temps de se dérouler. D’autre part, il a mobilisé le FNE formation pour financer la formation des salariés en activité partielle [1] afin d’utiliser cette période de creux dans le travail pour un développement des compétences.

Mais les entreprises se sont peu emparées de ces dispositions. Il faut dire que la succession des confinements-déconfinements n’était pas très porteuse, créant beaucoup de désorganisation : les services RH eux-mêmes étaient souvent en activité partielle, et leur priorité était plus les conditions de reprise d’activité et la question de l’emploi en période de baisse des commandes …plutôt que la formation.

Si bien que beaucoup d’entreprises se trouvent aujourd’hui au bout de l’échéance rallongée des 6 ans pour les salariés en poste en 2015. Les abondements de 3 000 € des CPF concernés doivent avoir été versés avant le 31 mars. Sinon, un contrôle de la Dreets (direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) entrainera le versement, en plus des 3 000 € sur chaque CPF concerné, du versement de la même somme au Trésor public.

En conclusion, on voit bien que les entreprises ne se sont pas encore emparées des enjeux de l’entretien professionnel pour la sécurisation des parcours professionnels, le développement des compétences et la compétitivité des entreprises. Comment amener les entreprises à penser au-delà des compétences requises pour les emplois actuels ? Comment faire pour les petites entreprises sans RH structurées ? Comment intéresser les salariés sinon par l’existence de débouchés réels à ces entretiens en termes d’évolution professionnelle et de formation ?

Tous les salariés ni tous leurs représentants ne se sont pas non plus saisis de l’enjeu, n’en voyant pas encore beaucoup de retombées. Son introduction dans le dialogue social est donc nécessaire, au CSE notamment, et dans les négociations formation et qualité de vie au travail : pour qu’il y ait une mise en œuvre de l’entretien professionnel, et dans le rôle qui lui est dévolu, et dans l’immédiat pour vérifier si les conditions des 6 ans ont bien été remplies et sinon si les 3 000 € par salarié concerné ont bien été versés sur leur CPF.


Source

Retrouver dans Clés du social