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L’objet social des entreprises : l’exemple des USA

mercredi 19 septembre 2018

Le projet de loi PACTE entame son parcours législatif. Une de ses ambitions est de redéfinir la place des entreprises dans la société en les incitant à prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité auprès de leurs parties prenantes comme le recommandait le rapport Notat-Sénard. Comment font les USA qui ont déjà une pratique en la matière et peut-on d’ores et déjà connaitre les effets à long terme de ce type de mesures ? Décryptage.

La loi Pacte

Le projet de loi Pacte prévoit d’amender les articles 1833 et 1835 du code civil. Ainsi une société n’aurait plus seulement pour objet « l’intérêt commun des associés », mais devrait être « gérée dans son intérêt social, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » et en prenant en compte les intérêts des parties prenantes de l’entreprise (salariés, clients, fournisseurs, etc.). Comment cela peut-il modifier les décisions financières prises et leurs conséquences pour la valeur de l’entreprise ? Comment peut s’imposer une vision à plus à long terme de l’entreprise ?

Et que nous apprend en la matière l’expérience américaine ?

La modification de l’objet social aux États-Unis à partir de 2 modèles
Les deux modèles présentés se rattachent au concept de responsabilité sociale des entreprises, « corporate social responsability » en anglais, organisé globalement autour de 3 grandes orientations : la philanthropie, l’amélioration de l’efficacité opérationnelle et la transformation du modèle de l’entreprise.

La modification de l’objet social a des effets à long terme sur l’entreprise et sur ses parties prenantes (salariés et clients notamment). C’est ce que révèlent des recherches menées aux États-Unis où un certain nombre d’États ont introduit à partir des années 80 un nouveau modèle. Ce modèle légal, appelé constituency statutes, vise à permettre aux dirigeants de prendre en compte les effets de leurs décisions pour l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise et non plus seulement pour les actionnaires.

Un autre modèle plus récent et inspiré de la crise de 2008 prend la forme d’un nouveau statut légal pour les entreprises, celui de B-corporations, ou benefit corporations.

Les constituency statutes

Il n’existe pas de modèle unique de constituency statute mais ils sont tous assez similaires. Ces textes de loi listent les intérêts à prendre en compte par l’entreprise : parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs, prêteurs), économie de l’État et de la nation, considérations sociétales, et enfin, intérêts à court terme et à long terme de la société et de ses actionnaires.

La plupart de ces lois ne sont pas contraignantes mais les observateurs estiment qu’elles représentent un pas important vers une conception qui n’est plus strictement actionnariale de l’entreprise. Leur ancienneté permet des bilans scientifiques.

Des règles différentes suivant les États

Les États-Unis étant un État fédéral, les lois sont différentes suivant les États. Ainsi, entre 1984 et 2006, plus d’une trentaine d’États américains ont adopté des constituency statutes. Le plus ancien est l’Ohio et le plus récent, le Texas. Mais le Delaware où plus de 50 % des sociétés cotées aux États-Unis sont immatriculées est resté en dehors de ce mouvement.

Des résultats encourageants

Deux études récentes se sont penchées sur les conséquences de l’adoption de ces textes sur deux aspects du financement et de l’investissement des entreprises : le coût de la dette et la qualité des innovations. Leurs auteurs y comparent de manière scientifique d’une part les entreprises immatriculées dans des États soumis à ces constituency statutes à des entreprises immatriculées dans d’autres États, et d’autre part ces mêmes entreprises avant et après l’implémentation de la loi dans les États concernés.

Un réel impact sur la dette, les parties prenantes et la valeur de l’entreprise

  • Sur la dette : en examinant 34 374 prêts bancaires accordés à des firmes cotées entre 1990 et 2012, les auteurs ont montré que ces lois entraînent une baisse du coût des emprunts de 0,38 % en moyenne ainsi qu’une réduction de la probabilité de devoir fournir une garantie.
  • Sur les salariés : les auteurs montrent que le taux de rotation de certains salariés clés de l’entreprise (les salariés qui ont déposé un brevet) diminue après l’adoption de la loi.
  • Sur les clients : de plus, le nombre des clients et fournisseurs de long terme (ceux qui représentent plus de 10 % des ventes pendant au moins cinq ans) augmente. Ces relations de long terme entraînent une diminution du risque de crédit, qui explique la réduction du coût de la dette.
  • Sur la valeur de l’entreprise : la valeur de l’entreprise s’est également accrue.
  • Sur l’innovation : l’adoption des constituency statutes conduit à une augmentation significative du nombre des brevets déposés, ainsi que du nombre de citations par brevet, traduisant un accroissement des innovations et de leur qualité. Ces résultats peuvent être expliqués par un environnement de travail moins anxiogène et une plus grande tolérance à l’échec, qui a conduit à des innovations plus originales, ainsi qu’à un plus grand engagement des salariés dans leur travail.

Les B-corporations, ou benefit corporations.

Un premier statut de « benefit corporation » a été créé en 2010 dans l’État du Maryland. Deux autres ont suivi : le « social purpose corporation » (société à but social) en 2012 en Californie, puis le « public benefit corporation » (société d’intérêt public) en 2013 dans le Delaware. Entre 2010 et début 2015 vingt-huit États se sont dotés d’un statut pour les B-corporations, principalement sur la côte Est et dans le Sud du pays.

Les entreprises organisées en B-corporation s’engagent à poursuivre des objectifs sociaux et environnementaux parallèlement à leurs objectifs économiques. Elles doivent obtenir une certification auprès d’un label, et les actionnaires peuvent poursuivre en justice les gérants de l’entreprise si ceux-ci ne se conforment pas aux objectifs sociaux que l’entreprise s’est fixés — en termes de protection de l’environnement, d’engagement humanitaire ou social, de traitement équitable de ses salariés.

Mais certains observateurs ont rapidement fait valoir la faiblesse des mécanismes d’application des procédures prévues dans le statut. Ceux-ci restent vagues et difficiles à mettre en œuvre. De plus ils permettent d’éviter des formes de régulation publique plus contraignantes.

En France, à l’occasion des débats sur la loi PACTE le patronat a mis en avant des solutions peu contraignantes et des évolutions issues du code de bonne conduite Afep/Medef. Ils poussent aussi à la création d’une nouvelle forme d’entreprise, optionnelle, l’ « entreprise à mission », sur le modèle des « public benefit corporations » américaines.

En conclusion
Les expériences américaines montrent que ce processus de changement est possible et donne des résultats intéressants. Les entreprises doivent apprendre à le dominer et en particulier dans le long terme. Car les enquêtes indiquent que la rentabilité économique commence par baisser. Ce n’est qu’après trois ans que l’effet de la mesure devient significativement positif.
C’est tout l’intérêt d’une loi qui permette d’échapper à la pression court-termiste des marchés. La loi, en mettant en avant les parties prenantes, légitime la décision des entreprises d’allonger leur horizon temporel, d’élaborer des politiques sociales et de prendre des décisions dont l’impact positif n’est pas immédiat.

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Sources
« The Truth about CSR », V. Kasturi Rangan, Lisa Chase et Sahel Karm. Harvard Business Review, 2015 :