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Repenser les politiques publiques d’emploi des travailleurs handicapés

samedi 19 septembre 2020

On sait que les personnes handicapées ont un taux de chômage double et sont près de deux fois moins souvent en emploi que les autres actifs, alors que, pourtant, la France a quasiment un siècle de politiques publiques pour l’emploi handicapé. À partir de ce paradoxe, l’IGAS (inspection générale des affaires sociales) a consacré un gros rapport à la problématique de l’emploi handicapé, avec un bilan critique de la situation actuelle, de l’évolution du regard sur le handicap ainsi que des handicaps eux-mêmes, pour aboutir à des propositions de transformation du système actuel.

L’efficacité du système actuel est très limitée

La politique française s’est créée sur un système de quotas d’obligation d’emploi de personnes définies officiellement comme handicapées. Ceci depuis la fin de la première guerre mondiale avec la première loi en 1924 créant l’obligation d’emploi des mutilés de guerre. Même avec des évolutions et lois nombreuses (1957, 1975, 1987, 2005, 2018), notamment la loi de 1957 créant le statut de travailleur handicapé, le cadre général de la politique française de l’emploi handicapé est resté basé sur ce schéma : le travailleur handicapé constitue une catégorie de personnes définie a priori, ayant un statut spécifique dans le but de le protéger, grâce à l’obligation d’emploi. Avec le risque d’isoler, de stigmatiser, de discriminer, de figer et d’exclure.

De plus les éléments ajoutés au fur et à mesure du siècle ont fini par constituer un mille-feuille sans coordination, d’une grande complexité juridique et aux procédures lourdes.

Le résultat est un faible accès au marché du travail, avec un taux d’emploi de seulement 36 % et un taux de chômage de 18 % (chiffres 2018). Leur chômage est plus long,1/3 de leurs emplois sont à temps partiel, leurs revenus sont faibles, leurs postes de travail sont moins qualifiés avec peu d’évolution. Même à âge, diplôme, origine géographique et catégorie socioprofessionnelle égaux, la discrimination est réelle.

Une nouvelle conception du handicap

Or dans une économie différente de celle d’il y a un siècle, les handicaps ont changé, alors que le vieillissement risque d’engendrer une augmentation du nombre de personnes handicapées. La façon de penser le handicap s’est modifiée, même si ce n’est pas encore généralisé, avec un souci de leur inclusion dans le droit commun, de promouvoir leur autonomie, de reconnaître leurs capacités et leurs droits, de penser les aides dans une logique de non-discrimination.

Ce sont les pays anglo-saxons, États-Unis en tête (Americans with disabilities Act, 1990), suivis par le Royaume-Uni, qui ont institué des politiques basées sur la non-discrimination et l’obligation d’« aménagements raisonnables » dans les entreprises et les administrations. Cela change le concept et la politique publique, instituant l’interdiction de la différence de traitement et l’obligation pour l’employeur de « lever les barrières » par des « aménagements raisonnables » du poste de travail. Cette conception a été reprise par la directive de l’Union européenne du 27 novembre 2005, puis par la Convention internationale relatives aux droits des personnes handicapées (CDPH) adoptée en décembre 2006 et ratifiée par la France en 2010. La France a effectivement introduit des éléments de non-discrimination, mais qui se juxtaposent à son socle historique.

Des propositions basées sur les besoins des usagers

L’Igas propose de repenser la politique publique vis-à-vis du handicap basée sur un meilleur accompagnement des personnes et d’abord une meilleure connaissance de ce public, de la diversité de handicaps, ce afin de mieux prendre en compte les attentes et les besoins individuels, donc de « mieux connaître pour mieux agir ».

Loin d’un statut figé, il s’agit de s’appuyer sur le projet de la personne et les aspirations individuelles, repenser les fonctionnements administratifs et privilégier les outils d’intervention souples, adaptables et simplifiés, assurer le suivi dans la durée, et développer l’emploi accompagné, plus efficace pour l’insertion professionnelle. Tout en gardant l’obligation d’emploi, le challenge est de passer d’une gestion par contrainte à une politique active d’intégration dans le travail.

Pour cela, l’Igas préconise la mise en pratique réelle de la notion d’« aménagements raisonnables », introduite par la loi de 2005 dans le code du travail mais encore peu mise en pratique : « Les employeurs sont tenus de prendre les "mesures appropriées" pour permettre aux travailleurs handicapés d’accéder à un emploi, de le conserver, de l’exercer, d’y progresser ou de suivre une formation adaptée à leurs besoins », sauf si les charges de mise en œuvre sont disproportionnées.

Ces propositions insistent sur la nécessité de réformer le modèle français qui n’est ni satisfaisant ni viable. L’Igas souligne aussi la nécessité de développer la prévention des handicaps liés à l’emploi, de mobiliser les moyens légitimes et de développer des incitations positives pour les employeurs.

Comment faire ? L’Igas envisage et propose trois scénarios : le statu quo aménagé, aux avantages immédiats mais restant à long terme un compromis instable ; le modèle inclusif, changement de fond qu’ont réalisé déjà certains pays, qui demandera du temps ; ou un scénario recentré sur les handicaps nécessitant des aménagements importants, comme cela existe en Allemagne, avec deux versions possibles, l’une basée sur une approche médicale individuelle, l’autre sur une approche environnementale prenant en compte les interactions avec le milieu de travail.

Dans tous les cas, c’est à une profonde révision de notre conception du handicap et des politiques d’emploi pour les personnes handicapées que nous engage ce rapport de l’Igas, allant vers l’objectif de création d’une société inclusive.


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