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Secret des affaires : quelles conséquences de la nouvelle loi pour les salariés ?

samedi 22 septembre 2018

La loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires a été définitivement adoptée. Elle transpose la directive européenne 2016/943 du 8 juin 2016. Pour le gouvernement elle est destinée à protéger les entreprises de l’espionnage économique mais est très critiquée par de nombreux journalistes et associations qui craignent des menaces sur la liberté d’informer. Quelles en seront les conséquences pour les salariés dans les entreprises ?

À l’origine, une directive européenne

La directive avait comme objectif de protéger les entreprises contre le vol de leurs secrets industriels ou leur divulgation à des concurrents ou au grand public. Cela peut être une recette, un brevet, une donnée économique stratégique ou un document interne. La demande de directive était venue des entreprises car, pour elles, les moyens de rétorsion contre ceux qui subtilisent leurs secrets ou les diffusent étaient insuffisants dans l’UE et de plus elles souhaitaient une uniformisation de la loi à l’échelle européenne.

Le secret des affaires apparait dans le droit français

Le Parlement a donc adopté la proposition de loi de La République en marche (LRM), qui transpose cette directive européenne. Pour la ministre de la justice, Nicole Belloubet, la proposition de loi est la source d’ « une réelle amélioration de notre système juridique », car elle vise à « protéger les entreprises contre le pillage d’innovations, lutter contre la concurrence déloyale, encourager la recherche et développement ».

La polémique

L’adoption de la loi a relancé les inquiétudes sur d’éventuelles conséquences sur la liberté de la presse, la liberté d’expression et la protection des lanceurs d’alerte. En effet la volonté du secret d’une entreprise peut parfois entrer en contradiction avec l’intérêt général. On l’a vu dans de très nombreuses affaires récentes (Panama Papers et autres fredaines…). Les journalistes et les lanceurs d’alerte estiment que le droit d’informer justifie la révélation de certaines informations.

La réponse de la ministre de la justice

« L’objectif n’est certainement pas de restreindre la protection juridique accordée aux lanceurs d’alerte, de donner des armes supplémentaires contre la liberté de la presse ou de réinstaurer une forme de censure a priori du juge, abolie en 1881 ».

Ce que prévoit la loi

La loi rend illégale l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’une information qui répond à ces trois critères :

  • 1. Elle n’est pas connue ou aisément accessible à des personnes extérieures à l’entreprise ;
  • 2. Elle revêt une valeur commerciale parce qu’elle est secrète ;
  • 3. Elle a fait l’objet de mesures de protection « raisonnables » de la part de l’entreprise.

Si ces conditions sont réunies, l’entreprise peut saisir la justice afin de prévenir ou faire cesser l’atteinte à son secret des affaires. L’entreprise peut également réclamer à celui qu’elle estime coupable une réparation financière, proportionnelle à la perte subie et au préjudice moral que l’affaire lui a causé.

La protection des journalistes, des lanceurs d’alerte et des salariés

Nombre de salariés font partie désormais des conseils d’administration des entreprises et leur nombre devrait augmenter. Ils sont déjà soumis de ce fait à des réserves connues. Pour eux comme pour les journalistes et les lanceurs d’alerte, la loi prévoit des protections spécifiques semblables à celles obtenues dans le cadre de la directive européenne, sous la pression des organisations de la société civile et des associations de journalistes.

  • Pour les journalistes
    La directive prévoit une exception quant à la protection des secrets des affaires lorsque c’est « pour exercer le droit à la liberté d’expression et d’information établi dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne y compris le respect de la liberté et du pluralisme des médias. ». La loi française indique de plus que le secret des affaires ne peut pas s’appliquer lorsqu’il s’agit d’ « exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse ».
  • Pour les lanceurs d’alerte
    La directive garantit aussi une exception quand il s’agit de « révéler une faute, un comportement inapproprié ou une activité illégale, à condition que la personne qui commet l’infraction ait agi dans le but de protéger l’intérêt public général ». Ces mêmes termes sont utilisés dans la loi de protection des lanceurs d’alerte y compris le texte récent régissant cette question dans la fonction publique (Voir Clés du social*). Pour les opposants à la loi, le problème réside dans la définition des lanceurs d’alerte qui ne permettrait pas de protéger ceux qui dénoncent des faits légaux mais contraires à l’éthique.
  • Pour les salariés
    La troisième exception à la loi concerne les salariés. La loi prévoit que les salariés qui obtiennent des informations internes sur leur entreprise et les transmettent à leurs représentants (des délégués syndicaux, par exemple) peuvent le faire. Mais elle décide une condition importante à cette protection : la divulgation de l’information doit être « nécessaire » à l’exercice des fonctions du représentant du salarié.

En conclusion, le Conseil constitutionnel a mis fin à certaines polémiques en reconnaissant conformes à la Constitution les trois articles qui avaient fait l’objet d’une saisine. Au-delà, nous voyons chaque jour que la transformation digitale a placé la donnée au cœur de l’activité des entreprises. L’intérêt de la loi est de renforcer le régime de protection de ces données. Pour l’apprécier véritablement il sera nécessaire d’avoir un peu de recul pour voir comment ce régime de protection va s’articuler avec ceux déjà existants.
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