1. Accueil
  2. > Dialogue social
  3. > Négociation
  4. > E-dialogue social pendant la pandémie : un laboratoire (...)

E-dialogue social pendant la pandémie : un laboratoire pour le futur ?

samedi 13 novembre 2021

La fondation Jean Jaurès dans une enquête vivifiante s’interroge sur le e-dialogue social (dialogue social connecté) qui s’est mis en place pour s’adapter aux confinements et de manière plus générale à la situation sanitaire. Il a montré son efficacité, mais au-delà quelle a été sa réalité entre contraintes et adaptations ? Est-ce un phénomène conjoncturel ou amène-t-il à de nouvelles pratiques durables ? Comment l’ont vécu les acteurs de l’entreprise et les partenaires sociaux ?

Une enquête de l’Observatoire du Dialogue social de la Fondation Jean Jaurès

L’enquête a été menée en ligne d’avril à fin juin 2021. Elle a concerné 122 entreprises de tailles différentes, avec des implantations géographiques sur tout le territoire et des secteurs professionnels variés et différents. Tous les acteurs ont été interrogés, tant les élus salariés que les représentants des directions, les DRH en particulier, sur les changements produits par les confinements successifs sur le dialogue social et les négociations. L’enquête a abordé aussi les perceptions des représentants des salariés et des directions sur ce que représente pour eux le dialogue social à distance.

Pour compléter, sept monographies d’établissements ont été réalisées. Elles ont donné lieu à des entretiens approfondis avec des représentants des salariés et des équipes de direction. Et enfin cinq entretiens avec des « grands témoins » : représentants des confédérations syndicales et patronales, l’ex-directeur général du travail… figurent en conclusion. Plus prospectivement, le rapport cherche à comprendre et anticiper les différents enjeux de la numérisation du dialogue social. Un sujet certainement d’avenir !

L’adaptation des partenaires sociaux

Nous vivons une crise sanitaire depuis 21 mois et elle a impacté tous les pans de notre vie personnelle et professionnelle. Les relations sociales dans l’entreprise n’y ont pas échappé. L’e-dialogue social qui existait de manière très minoritaire s’est intensifié et systématisé au fil des semaines de la pandémie alors même qu’il n’avait pas une définition antérieure, contrairement au télétravail pour lequel les grands principes étaient déjà fixés. La crise a bousculé les pratiques en matière de négociation, d’information, de consultation des IRP. Celles-ci, notamment dans les conseils économiques et sociaux (CSE), se sont organisées derrière leurs écrans et de chez eux. Une ordonnance en vigueur jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire autorise les réunions des IRP à se tenir en visioconférence ou conférence téléphonique, voire en messagerie instantanée.

Les auteurs de l’étude résument leurs conclusions en trois mots : contraintes, adaptation et modifications des pratiques. En voici les principaux éléments :

  • Une adaptation à marche forcée des pratiques du dialogue social. Pour les auteurs, l’e-dialogue social pendant la pandémie peut être assimilé à une « expérimentation à marche forcée », la systématisation d’un usage sans qu’il ait été anticipé. Chacun a dû adapter ses pratiques en fonction de ses besoins, chemin faisant et au fil des réunions. On n’est pas étonné que l’enquête révèle que les pratiques sont différentes dans chaque entreprise étudiée, par exemple des réunions 100% distancielles, hybrides, en conférence téléphonique, des adaptations pour les signatures obligatoires…
  • La forme des réunions a changé et, avec elle, la perception de la qualité du dialogue social. Les réunions sont devenues virtuelles sans que la présence physique de tous soit obligatoire. Cela a joué sur la manière d’être présent et de peser ou pas sur les débats. L’espace de débat est reconfiguré, les interactions sont modifiées : on prend son tour, on ne parle pas en même temps, on est loin de son collectif, on pense aux sections syndicales. Il n’y a pas tout l’informel qui intervient dans le dialogue social classique (réunions préparatoires, suspensions de séance, repas en cas de longues séances…) et joue un rôle de communication favorisant la résolution des problèmes à traiter. Mais, certains ont avoué que les postures classiques de négociation ne leur manquaient pas.
  • La plupart des entreprises ont mis en place le dialogue social connecté pour répondre aux obligations légales tout en respectant les normes sanitaires.
  • L’e-dialogue social a entrainé des modifications dans les rapports entre les salariés, leurs représentants et les équipes de direction. La notion de proximité est interrogée.
  • Le e-dialogue social a été efficace pour répondre à la crise sanitaire dans les entreprises, les branches et au niveau interprofessionnel : facilité pour se réunir, efficacité des réunions, continuité du dialogue social.
  • Les relations entre acteurs sont questionnées après la mise en place et l’intensification du e-dialogue en particulier lors des premiers mois de la crise. Plus que d’un changement de rôle, les délégués, les responsables de branches comme les DRH évoquent une intensification de leur action et aussi la satisfaction d’avoir été utiles. Un exemple grandeur nature de leur utilité et de celle du dialogue social.

L’étude ouvre de multiples pistes de réflexions.

Le rapport cherche à comprendre et anticiper les différents enjeux de la numérisation du dialogue social et en particulier son articulation avec le dialogue social physique. Car il faut désormais passer de l’urgence au souhaitable en termes de pratiques.
Certains acteurs interrogés semblent s’orienter vers une « segmentation des sujets » pour articuler ces deux formes du dialogue social. Quelle doit être la nature de ces pratiques nouvelles ? Pour Jean-Denis Combrexelle, ex-DGT, « tout ne relève pas de la loi, une partie des règles pourrait faire l’objet d’accords d’entreprises ou de branches ».
L’encadrement du e-dialogue social pourrait se faire sur la base de retours d’expérience et de diagnostics partagés pour ensuite négocier un accord dans l’entreprise, nécessaire pour encadrer le dialogue social dans ses diverses formes. Les questions à aborder pourraient être l’équilibre entre réunions en distanciel et en présentiel, l’identification des thèmes de négociations nécessitant impérativement des échanges en relation directe, les données mises à disposition des responsables syndicaux…

La crise sanitaire a mis en évidence l’importance du lien avec et entre les salariés, les débats sur la place du télétravail en témoignent. Certaines organisations syndicales ou d’entreprise ont réinventé leurs modes de communication afin de les informer et de les consulter davantage. Pour les auteurs, après la crise, il sera nécessaire de faire le point : le numérique va-t-il favoriser une plus grande horizontalité dans les entreprises et les organisations syndicales ?

Le numérique bouleverse le fonctionnement du dialogue social, qu’il s’agisse des relations entre les représentants du personnel (fonctionnement et création des collectifs), entre les salariés (démocratie syndicale) ou entre les différentes sphères managériales. Quels moyens faudra-t-il déployer pour préserver l’esprit collectif et la coordination entre les différents membres du corps social ?

Une autre interrogation émerge de l’enquête, le basculement numérique modifiera-t-il la mobilisation des femmes dans le dialogue social qui, historiquement, dans le champ français, est un apanage masculin ?

En conclusion, on l’a vu les modalités qu’a pu prendre le dialogue social pendant la crise sanitaire sont très spécifiques. C’est une expérience grandeur nature. Désormais la réflexion dans les entreprises, dans les syndicats et plus globalement dans le monde du travail est nécessaire pour déterminer la place qu’il prendra. L’enquête de la fondation Jean Jaurès nous y invite de fort belle manière !


Source