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Lanceurs d’alerte, où en est-on ?

samedi 11 septembre 2021

La France a jusqu’au 31 décembre 2021 pour transposer la directive européenne de 2019 sur les lanceurs d’alerte. Elle dispose déjà d’une loi, dite « loi Sapin 2 », du 9 décembre 2016, qui a été une étape très importante, mais certaines difficultés persistantes et des différences par rapport à la directive demandent une réécriture partielle et un renforcement de la protection des lanceurs d’alerte. En effet, près de 5 ans après cette loi, quelle mise en œuvre et quelques difficultés et lacunes rencontrées ? Plusieurs éléments nous fournissent des éléments de bilan : le récent rapport parlementaire des députés R. Gauvin et O. Marleix, les informations de la Maison des lanceurs d’alerte et celles des syndicats.

La loi Sapin 2 a créé un statut pour les lanceurs d’alerte

Avant cette loi, il y avait des morceaux épars de protection et des lois partielles successives, imposant à certaines catégories de population (autorités, officiers publics, fonctionnaires, personnel des établissements sociaux et médico-sociaux, CHSCT, personnes signalant une discrimination ou un harcèlement sexuel ou moral) de dénoncer des faits délictueux et qui surtout interdisaient toute sanction à leur égard s’ils dénonçaient de bonne foi des faits condamnables correspondant à une alerte reconnue par une loi.

La loi Sapin 2 [1] apporte un niveau élevé de protection, avec accompagnement possible du lanceur d’alerte par le Défenseur des droits et sanction des représailles. Sont clairement explicitées les conditions de la recevabilité de l’alerte : connaître les faits personnellement, être « désintéressé et de bonne foi ».

Une faible utilisation de la loi

En effet, même si cette législation était novatrice, elle n’a eu qu’une faible mise en œuvre dans les entreprises, les administrations et les institutions, vu notamment le nombre de conflits de valeurs que les salariés disent rencontrer [2] . Pourquoi ? Le rapport parlementaire précise lui-même que la « faible utilisation de ce dispositif (est) en raison de sa complexité et parce qu’il expose les lanceurs d’alerte à un risque juridique et financier considérable ».

Une première raison est liée à la lourdeur des « canaux de signalement », puisque le signalement doit d’abord être obligatoirement donné en interne de l’entreprise ou de l’administration, donc à l’employeur, avant de pouvoir être porté à une autorité judiciaire et/ou, au bout de 3 mois, faire une divulgation publique.

En plus de la lourdeur, l’obligation du signalement interne entraine une grande insécurité pour le lanceur d’alerte. Comme l’exprime la lettre ouverte de 50 personnalités en décembre 2020 [3] , publiée sous l’égide de la Maison des lanceurs d’alerte, « le système actuel impose en effet aux lanceurs d’alerte de signaler en premier lieu à leur employeur les dysfonctionnements dont ils sont les témoins, ce qui revient trop souvent à les jeter dans la gueule du loup. La culture de l’alerte est insuffisante pour faire face aux entreprises récalcitrantes voire délinquantes : il n’est pas rare qu’un salarié soit licencié pour avoir alerté. Si, aux yeux de la loi, un tel licenciement est discriminatoire et peut être annulé, cette situation n’en reste pas moins terriblement anxiogène, destructrice et décourageante ».

Le critère de désintéressement peut aussi écarter de possibles lanceurs d’alerte, s’ils ont déjà un autre litige avec leur employeur et est source pour eux d’insécurité juridique.

Également, les procédures de recueil et de traitement des alertes, imposées par la loi aux entreprises et au secteur public, avec notamment un référent dans ces structures, sont insuffisantes, ce qui ne permet pas d’assurer la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte.

Tous ces éléments montrent que le risque est grand pour le lanceur d’alerte, risque d’emploi, de carrière, financier, psychologique. Certaines entreprises continuent de pratiquer les « poursuites-baillons », c’est-à-dire une multiplication des procédures pour décourager le lanceur d’alerte. Comme le résume la Cfdt Cadres, « Victimes d’intimidations ou de poursuites en diffamation, de harcèlement ou de licenciement, les attaques visant à les faire taire constituent leur lot commun. En conséquence, ils sont trop souvent amenés à se taire par peur de faire l’objet de représailles, ou par peur que leur parole ne soit pas entendue, leur alerte ignorée ».

Ainsi, le Défenseur des droits a été saisi 316 fois par des demandes de lanceurs d’alerte depuis 2016 et la Maison des lanceurs d’alerte dit avoir accompagné un peu plus de 200 personnes depuis sa création (octobre 2018), dont 83 % dans le domaine professionnel, privé ou public. Le rapport parlementaire précise que « 32 % d’entre elles concernent des faits de corruption, 17 % des maltraitances ou des violences institutionnelles, 14 % des risques sanitaires ou environnementaux et 10 % des discriminations ou des problèmes de harcèlement et de sécurité au travail ».

En conclusion, si la loi Sapin 2 a été une réelle avancée, la réalité montre bien qu’une nouvelle phase est indispensable pour renforcer la protection des lanceurs d’alerte, en transposant la directive européenne qui, justement, apporte solutions et simplification à beaucoup des difficultés rencontrées et pour rendre la procédure d’alerte comme une pratique « normale » chaque fois qu’existe un fait délictueux ou dangereux.


Sources