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Les leçons d’Eric Maurin sur l’école républicaine

mercredi 27 octobre 2021

Dans un ouvrage récent l’économiste et sociologue Eric Maurin et Nicolás Navarrete de la Paris School of Economics se sont penchés sur 3 dispositifs emblématiques et discutés du système scolaire français. L’interdiction du voile islamique, l’inspection des enseignants et le fonctionnement des classes préparatoires. Loin des discours politiques et des anathèmes idéologiques, les deux auteurs nous proposent une belle leçon de sciences sociales et des résultats positifs et fracassants. Ou, dit autrement, comment traiter sociologiquement et scientifiquement des sujets clivants d’hier, d’aujourd’hui et de demain ? Les résultats sont à la hauteur de l’enjeu et permettent enfin un débat de qualité même si, et c’est bien normal, des critiques apparaissent.

Dans cet article, nous traiterons du voile à l’école.

L’interdiction du voile à l’école aurait amélioré la scolarité des jeunes filles de familles musulmanes.

Petit rappel historique

En septembre 1994, une circulaire, nommée Bayrou, du nom du ministre de l’Éducation était publiée interdisant les symboles religieux « ostentatoires » dans les établissements publics français. Les jeunes filles ne sont alors plus acceptées en classe avec le voile. L’effet de cette circulaire est amplifié par la loi du 15 mars 2004 interdisant aux élèves de l’enseignement public le port de signes religieux ostensibles.

Mener une recherche scientifique

Les auteurs se sont interrogés sur les conséquences en termes de résultats scolaires de ces décisions gouvernementales. Leur objectif était de montrer avec clarté comment passer d’une question politique importante à un vrai travail de recherche, en posant des hypothèses, en cherchant les chiffres et les statistiques là où ils se trouvent et en vérifiant la causalité. On apprécie qu’ils aient fait appel aux ressources d’éclairage des sciences humaines comme des sciences dures tout en avouant qu’ils n’avaient pas d’idée préconçue au départ.

Ils ont intégré dans leur recherche les deux grandes étapes de 1994 et 2004.

Le préalable était d’abord d’identifier le plus précisément possible les personnes issues de parents musulmans. Pour ce faire les chercheurs se sont appuyés sur l’enquête Emploi de l’INSEE. Depuis 2005, cette enquête demande aux personnes interrogées la nationalité de leur père. Ce fait a permis d’identifier les personnes dont le père est originaire de pays où la majorité des ressortissants sont musulmans comme l’Algérie, le Maroc ou la Turquie… Ces données ont été croisées avec l’enquête « Trajectoires et origines » de 2008, la seule qui propose une information sur la religion des parents. Cela a permis de confirmer que le groupe dit musulman était bien composé de jeunes filles dont le père était effectivement de confession musulmane. Il faut noter que ces différentes enquêtes n’abordent pas pas la question du port du voile et des conflits familiaux. Pour les auteurs, cette problématique est induite vu l’origine des familles et le moment où les statistiques ont été établies.

L’enquête a donc suivi au fil des générations deux groupes, un groupe issu dans son immense majorité de familles musulmanes et un autre groupe où quasiment aucune des jeunes filles n’a grandi dans une famille musulmane. La recherche a visé le niveau de diplôme atteint avant et après l’interdiction du voile.

Les effets positifs sur les taux de diplômes des jeunes filles musulmanes

L’interdiction du voile a coïncidé avec une amélioration « spectaculaire, massive et durable des performances scolaires » des jeunes filles de familles musulmanes. Les jeunes filles du groupe musulman scolarisées juste après le décret atteignent un niveau nettement plus élevé que celles scolarisées précédemment alors que rien de tel ne s’observe pour le groupe non musulman. Avant la circulaire, le déficit de bachelières du groupe musulman était de 12 points, il passe à 6 points après la circulaire. A contrario, du côté des garçons de familles musulmanes, il n’y a aucun changement, le déficit de bacheliers est le même avant et après l’interdiction.

De même, l’effet est visible avec la loi de 2004. Avant la loi, la progression des filles du groupe musulman atteint un palier après la forte progression des années Bayrou. Dès la loi votée, les chercheurs constatent le même mouvement vers le haut.

L’étude fait aussi mention d’une variable complémentaire qui vient renforcer leurs thèses. A savoir que cette progression est plus forte encore dans les familles dont les mères ne travaillent pas et que l’on peut penser plus traditionalistes. Dans ces familles, pour eux, la pression était encore plus forte pour les jeunes filles et la libération produite par les règlementations encore plus profitable.

Une hypothèse pour expliquer ces résultats

Dans une interview à Charlie Hebdo, Eric Maurin, indique que « leur hypothèse est que les règlementations successives ont permis à celles à qui on cherchait à imposer le voile d’échapper aux conflits familiaux, d’aller à l’école, de fréquenter leurs camarades (notamment masculins) plus sereinement ». Ces jeunes filles étaient en souffrance, écartelées entre deux cultures. Les règlementations successives leur ont permis d’échapper à cet écartèlement dans l’espace de l’école. Il met aussi en avant que les familles ont intégré cette régulation dès 1994.

Des critiques

On n’est pas étonné que sur ce sujet, faisant parfois l’objet d’anathèmes, des critiques apparaissent. Eric Maurin lui-même signale celles de collègues américains qui s’élèvent contre l’idée que la régulation du vêtement des filles ait un impact positif sur leur réussite scolaire.

De même, en France, l’économiste et statisticien Thomas Coutrot s’est attaché à démontrer que les interprétations des auteurs semblent fragiles. En particulier parce que les données exploitées, provenant de l’enquête Emploi de l’Insee, ne comportent aucune information sur le port du voile ou les conflits intrafamiliaux. Et enfin, pour lui, si les garçons du groupe musulman n’ont pas réussi le même rattrapage, cela peut signifier qu’ils souffrent de préjugés et de discriminations beaucoup plus forts que les filles. Ce débat est sain car c’est ainsi que procèdent les universitaires. Or, il y a nécessairement une explication.

Conclusion

Que les résultats de cette enquête soient débattus quoi de plus normal, nous sommes là, enfin, dans une démarche universitaire et scientifique. C’est une bonne chose pour un sujet si polémique. Nous recommandons à tous nos lecteurs la lecture de ce livre de manière que chacun se fasse une opinion.


Sources

  • Trois leçons sur l’école républicaine, Eric Maurin, Seuil, 128 pages, 11,90 euros.
  • Charlie-Hebdo n° 1522/22 septembre 2021
  • Portail pédagogique : sciences économiques et sociales - voile et réussite scolaire (ac-nantes.fr)