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Mixité sociale au collège, une expérience réussie en Haute-Garonne

samedi 11 décembre 2021

Le président du Conseil départemental de la Haute-Garonne vient de rendre un premier bilan d’une expérimentation lancée en 2017 dans deux collèges du quartier défavorisé du Mirail à Toulouse. Chargée de combattre la ségrégation sociale, cette expérience, une des rares en France, a permis à plus de 1 000 élèves de quitter leurs « collèges ghettos », qui sont désormais fermés, pour 11 établissements mieux côtés de l’agglomération toulousaine. Résultats : élévation importante de la réussite au brevet, hausse des moyennes, niveau d’entrée au lycée amélioré mais aussi pour les élèves le sentiment de vivre une expérience bénéfique et pour la communauté éducative d’autres manières de travailler en collectif. Décryptage de cette expérience inédite qui n’est pas sans rappeler les premiers temps de la discrimination positive aux États-Unis.

Pourquoi une expérience de discrimination positive en Haute-Garonne ?

La volonté de lutter contre les déterminismes sociaux et territoriaux a été première. Le Conseil départemental a voulu dépasser ce que de nombreuses études mettent en avant, l’origine sociale des élèves conditionne très fortement la réussite scolaire en France malgré des discours universalistes permanents. Les chiffres, publiés le 28 mai 2015 par le Conseil national de l’évaluation du système scolaire (Cnesco), ont été un électrochoc : 10 % des élèves de troisième sont scolarisés dans un « collège ghetto », avec plus de 60 % d’enfants d’ouvriers, au chômage ou inactifs alors qu’ils ne représentent en tout que 37 % des élèves. Le Conseil départemental et le rectorat avaient fait un constat alarmant de la situation dans le quartier du Mirail à Toulouse avec des taux de réussite au brevet de 50 % sans compter les problèmes de décrochage scolaire et de déscolarisation précoces. La volonté départementale rejoignait la politique de Najat Vallaud-Belkacem alors ministre de l’Éducation nationale. Le ministère a apporté son soutien à des projets innovants pour combattre la ségrégation sociale, dont celui de la Haute-Garonne.

Les modalités de réalisation

2 collèges ont été concernés, le collège Raymond Badiou à la Reynerie et le collège de Bellefontaine. Dans un premier temps en 2017, les élèves de CM2 de la Reynerie sont accueillis dans 5 collèges plus favorisés au lieu de faire leur rentrée au collège Badiou. L’année suivante, en 2018, c’est le tour des CM2 des écoles rattachées au collège de Bellefontaine. Et ainsi chaque année. Au total 1 140 élèves ont été réaffectés en 4 ans dans 11 collèges d’accueil.

Le Conseil départemental et le rectorat ont mis en place un certain nombre de mesures d’accompagnement. Les élèves sont transportés gratuitement par 17 navettes, une vingtaine d’accompagnateurs les encadrent et font le lien avec les familles. Les classes sont limitées à 25 élèves dans les collèges d’accueil en 6ème. Des maitres Mixité sociale font le lien entre l’école primaire et le collège d’accueil. Des professeurs référents Mixité ont été nommés dans les collèges. Une mission de médiation est assurée par l’AFEV (association de la fondation étudiante pour la ville) pendant la pause méridienne et 22 résidents en service civique au total sont présents. Car la mixité sociale nécessite un projet pédagogique construit pour ne pas laisser des groupes face à face ou stigmatisés.

Enfin, une démarche participative a été mise en place avec les familles et les personnels. Des centaines de réunions ont eu lieu. Un comité de suivi institutionnel suit l’expérimentation.

Les résultats

  • Pour l’obtention du Brevet : le taux de réussite est passé de 50 % en 2017 à 63 % en 2021, les élèves ayant obtenu plus de 12 sont passés de 4,6 % à 33 %.
  • 94% des élèves poursuivent désormais leur scolarité dont 52% en seconde générale et 35 % en seconde professionnelle, seuls 3 % redoublent.
  • 4 élèves sur 5 ont choisi d’entrer au lycée rattaché au collège d’accueil. Ainsi Ils sont 200 au prestigieux lycée Pierre-de-Fermat.

Le regard des experts

Dans Libération, Choukri Ben Ayed, professeur de sociologie, s’enthousiasme des résultats. « Un dispositif d’une telle ampleur, avec une cohorte entière que l’on a pu suivre, c’est rarissime. Les résultats chiffrés, de réussite au brevet et de ce que nous voyons sur le terrain, sont extrêmement positifs. Ça marche. »

Étienne Butzbach, coordinateur du réseau Mixités à l’école du centre national d’études des systèmes scolaires indique que les enfants ont su s’adapter très vite à cet environnement. Il souligne les résultats positifs et rajoute « Il n’y a pas de fatalité. On peut rompre avec un certain déterminisme social quand la communauté éducative et les pouvoirs publics se mobilisent. Je pense que l’expérimentation haut-garonnaise constitue aujourd’hui un réel atout pour remettre à l’ordre du jour cette ambition au niveau national ».

L’avenir

Les deux collèges du Mirail sont désormais fermés. Le temps de reconstruire deux nouveaux établissements, mieux situés et permettant plus de mixité. Ceux-ci font l’objet de contenus pédagogiques structurants et ambitieux pour les rendre attractifs à tous. Ils ouvriront en septembre 2022. La carte scolaire de ces deux nouveaux établissements fait l’objet d’une concertation citoyenne depuis octobre 2021. La nouvelle sectorisation permettra aussi aux collèges d’accueil de continuer à accueillir des élèves du Mirail. Le Conseil départemental affiche sa volonté de réussite de cette phase 2 de la mixité sociale.

Conclusion

L’objectif de mixité sociale et scolaire est inscrit dans l’article 1 de la loi de refondation de l’école de 2013, mais restait plus un objectif qu’une réalité. L’expérimentation de la Haute-Garonne montre qu’Il n’y a pas de fatalité et aucun blocage insurmontable. C’est un pari audacieux et politique qui fait mentir les sceptiques et remet des couleurs au service public.


Sources

  • La dépêche du Midi du 6 octobre 2021
  • Libération du 3 novembre 2021
  • Haute-Garonne Magazine n° 167