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Négociations salariales dans les entreprises : la mobilisation paie-t-elle ?

samedi 18 février 2023

L’étude publiée en décembre par la DARES à partir du travail de deux chercheurs [1] de l’université de Lille et Sciences Po Paris montre que la mobilisation des salariés avant ou pendant la négociation semble influencer les décisions finales des directions d’entreprise. Une étude instructive sur l’état des lieux des négociations salariales dans les entreprises.

Les salaires et primes : le premier sujet de négociation et de conflit
L’étude s’appuie sur les enquêtes REPONSE effectuées par le service statistique du ministère du Travail (DARES) entre 1993 et 2017. Elle se concentre sur les négociations salariales qui sont au cœur des négociations d’entreprise puisque 4 établissements sur 5 ayant négocié entre 2014 et 2016 ont ouvert des discussions sur les salaires et primes. C’est aussi le premier sujet de conflit sur la période 1993-2017.

En dehors de la fixation du SMIC par l’État, les salaires sont décidés au niveau des branches et des entreprises. Même si la négociation de branche est aujourd’hui moins impérative que par le passé, elle garde une place importante avec la définition des minimas de branches. Définition sur laquelle l’État peut avoir encore une influence forte par la pression qu’il exerce pour que les minimas soient supérieurs au SMIC.

Mais la négociation d’entreprise s’est largement généralisée notamment avec les « lois Auroux » de 1982 qui l’ont rendue obligatoire tous les ans (NAO) et plus récemment par les ordonnances travail de septembre 2017. Toutefois, en 2016, 26 % des entreprises couvertes par un délégué syndical et donc qui devaient ouvrir des négociations ne l’ont pas fait. Une question à laquelle l’étude apporte des éléments de réponse.

Pourquoi ne négocie-t-on pas sur les salaires ?

Pour établir leur diagnostic, les chercheurs se sont basés sur les réponses des représentants du personnel (RP) mais aussi sur celles de représentants des directions (RD). Les réponses peuvent être divergentes.

Ainsi, les représentants du personnel (21 %) placent en première raison d’absence de discussion le refus de négocier ou la décision unilatérale des employeurs. Ceux-ci estimant souvent que c’est à eux de fixer les salaires et qu’il n’y a pas lieu d’en discuter. 7 % des représentants de la direction évoquent clairement cette position. Les représentants du personnel déclarent avoir tenté de se donner les moyens d’obliger la direction à négocier mais n’y sont pas parvenus.

Par ailleurs, pour 15 % des représentants du personnel et 11 % des représentants de la direction, les négociations se font de façon individuelle ou informelle.

Pour 14 % des RP et 22 % des RD, les discussions se passent à un autre niveau (branche, État, niveau de négociation supérieur).

Pour 14 % des RP et surtout 21 % des RD, l’absence de discussions s’explique par l’absence de demande des délégués ou des salariés.

Pour 9 % des RP mais 19 % des RD, c’est un état de fait (trop petite structure, association dépendant de financeurs, absence de syndicat, « pas contraints » ou encore « il n’y en a jamais ».

D’autres items sont évoqués mais moins souvent que les précédents : raisons économiques, négociations en cours ou prévues prochainement. Notons que 15 % des RP et 9 % des RD n’ont pas donné de réponse.

On le voit, 40 ans après les lois Auroux, la pratique de discussions entre partenaires sociaux dans certaines entreprises n’est toujours pas institutionnalisée. Mais, pour autant, les décisions initiales des directions bougent-elles quand les salariés se donnent « des prises » pour reprendre l’expression des auteurs ou se mobilisent ?

La mobilisation des salariés avant ou pendant les discussions influent sur la décision de la direction

Les auteurs reprennent d’autres études qui montrent que les gains salariaux sont plus importants quand il y a une présence syndicale (de l’ordre de 2 à 5 %). L’étude, elle-même, indique que pour 57 % des RP et 63 % des RD, les négociations débouchent sur un accord. Dans 2/3 des cas, cela débouche sur un accord entre toutes les parties.

Les représentants de la direction (35 %) estiment que leur décision aurait été différente s’il n’y avait pas eu négociation. 56 % des RP pensent la même chose. 2/3 des représentants de la direction disent que leur position avait évolué quand une mobilisation avait eu lieu avant ou pendant la négociation et un tiers des RD disent que leur position a évolué en l’absence de mobilisation. Les directions admettent, toutefois, que les espaces de négociation se jouent le plus souvent sur les aspects annexes aux salaires : poids et critères des augmentations individuelles, primes, etc.

Plus les entreprises sont grandes, plus les décisions des employeurs ont tendance à évoluer. C’est aussi plus le cas dans les groupes cotés en bourse (38 %) que chez les indépendants (26 %).

Pour un dialogue social positif

En conclusion, que la mobilisation des salariés ait un impact sur les décisions des employeurs ne constitue pas en soi un scoop. Reste à savoir de quoi on parle. Les auteurs utilisent le terme « prise » pour définir l’action des représentants du personnel pour influer sur l’issue des négociations sans préciser ce qu’il signifie concrètement alors même que le texte de présentation de la DARES semble le traduire par « pétitions, débrayages, grèves ou manifestations au moment de ces négociations ».

Bien sûr pour débloquer une situation, le recours à ces modes d’action peuvent être nécessaires. Une information en direction des salariés sur les enjeux de la négociation, des discussions plus ou moins informelles des délégués avec les salariés pour définir les revendications, la nature même de celles-ci et leur crédibilité sont en règle générale de nature à mobiliser les salariés pour peser sur les discussions.

Mais un dialogue social construit sur le respect réciproque des parties, la confiance et l’échange sont les moyens efficaces et durables pour résoudre par avance les conflits dans l’intérêt des salariés et des entreprises. Encore faut-il trouver dans l’entreprise les conditions et les acteurs d’un tel dialogue. La partie n’est pas toujours gagnée et les directions des entreprises en portent le plus souvent la responsabilité.


Source


Notes :

[1Pierre Blavier, CNRS, Université de Lille, CLERSÉ ; Jérôme Pélisse, Sciences Po Paris, CSO