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UE : l’amorce d’une politique de santé européenne

mercredi 3 mars 2021

Ce n’était pas gagné d’avance ! L’UE n’était pas prête, début 2020, à affronter la pandémie d’une manière commune et solidaire. Absence de compétence, faiblesse des budgets, volonté des États membres de garder la mainmise sur leurs systèmes de santé… Trop lent, trop peu, trop tard : que dire des réactions de l’UE pour renforcer la coordination des États membres, commander les vaccins, les distribuer… Il est malheureusement vrai que les crises accélèrent les prises de conscience et tant mieux, car les évolutions ont été tardives mais positives.

Quelle compétence pour l’UE ?

Jusqu’à 2019 les politiques de santé européennes se limitaient à des campagnes d’information et des conscientisations sur de grandes causes de santé avec des budgets très restreints. La Commission menait des actions de promotion du sport, pour une alimentation saine, pour le dépistage du cancer et du sida, de prévention contre le tabagisme (première cause de mortalité évitable dans l’Union européenne) ou encore contre la consommation d’alcool et de drogues…mais les politiques de santé restaient de la compétence nationale, constituant des budgets considérables mais très inégaux.

Bien sûr le traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) au travers principalement de l’article 168 donne à la Commission une possibilité d’intervention en matière d’amélioration de la santé publique ; d’information et d’éducation en matière de santé en particulier dans la lutte contre les grands fléaux, en favorisant la recherche sur leurs causes, leur transmission et leur prévention ; de la surveillance, l’alerte et la lutte contre les menaces transfrontières graves sur la santé, mais cela n’avait jamais été mis à l’épreuve d’une pandémie comme le Covid-19.

La prise de conscience et un début de coordination mais un Conseil incapable de comprendre les enjeux

Il ne fait nul doute que l’appréciation sur la diffusion de la pandémie a été sous-évaluée par tous y compris par la Commission et que l’on a laissé, début 2020, l’Italie se débrouiller seule (ce n’est pas la première fois, sur les migrants cela a été pareil…). Pourtant la Commission à partir d’avril a joué un rôle essentiel pour accélérer la mise en place d’une politique de santé car elle en avait déjà tracé les grands éléments et en avait fait une de ses priorités fin 2019. Le tandem de la Chancelière allemande et du Président français a été moteur dans la mise en route de cette politique de coordination et d’engagements communs sur les vaccins.

Si une prise de conscience commençait à se développer dès avril 2020, c’était sans compter sur les difficiles négociations qui allaient s’ouvrir sur le Plan de relance européen. Ces discussions liées au futur budget de l’Union (2021-2027) a suscité des négociations de marchands de tapis entre juin et juillet 2020 (voir l’article de Clés du Social : https://www.clesdusocial.com/ue-un-succes-au-forceps-plan-de-relance-europeen-covid-19). Dans ces négociations, centrées sur les aspects économiques de la crise, le plan de santé de la Commission a été sacrifié. Le compromis du Conseil du 21 juillet 2020 avait ramené la proposition de la Commission, pour son plan EU4Health, de 9,4 milliards à 1,7 milliard en passant sous la table les 8,4 milliards du Plan de relance prévus à cet effet par la Commission.

Le rôle du Parlement européen et l’exigence de transparence

Dès l’annonce de l’accord des chefs d’États et de Gouvernements du 21 juillet 2020, le Parlement européen avait exprimé son désaccord en particulier sur la réduction du budget santé. Les décisions budgétaires nécessitant un accord tripartite entre le Parlement européen, la Commission et le Conseil européen, le Parlement a exercé un bras de fer victorieux pour rétablir les propositions de la Commission pour son Plan EU4Health. Le Parlement veut aussi être vigilant sur la transparence des contrats passés avec les laboratoires, sur la distribution des vaccins et sur les engagements financiers. Les exigences des grands groupes pharmaceutiques ont conduit à la non-transmission de ces contrats jugés comme des contrats commerciaux confidentiels. Il a fallu une bévue d’une ministre belge pour connaitre le prix payé aux différents laboratoires pour les différents vaccins. Dans un petit coup de fatigue, Eva de Blecker, secrétaire d’État au Budget a publié sur son compte twitter (vite supprimé) un tableau détaillant le prix des vaccins. Cela va de 1,78 euro la dose pour AstraZeneca à 18 dollars pour Moderna en passant par 12 euros pour Pfizer/BioNtech. Le Parlement européen a vraiment été le plus grand défenseur d’une politique de santé européenne.

Quelle politique sur les vaccins ?

Peut-on reprocher à l’UE d’avoir voulu négocier pour obtenir un contrat qui garantisse à tous les États membres d’avoir accès aux vaccins au même prix pour tous et distribués de façon équitable entre les pays en fonction de leurs populations et de l’arrivée des vaccins ? Non, ce procès serait injuste car séparément les négociations auraient favorisé les pays les plus riches de l’Union, un accès inégal à la vaccination et donc une inégalité également dans les capacités de relance. La Présidente de la Commission a souvent souligné que la négociation à 27 est plus compliquée que pour un pays seul (un hors-bord d’un côté, un paquebot de l’autre…) mais cette approche solidaire était la meilleure.

Peut-on également reprocher à la Commission d’avoir été trop lente dans ses commandes ? Les Européens ont commandé 2,3 milliards de doses auprès de six laboratoires (Moderna, Pfizer-BioNTech, AstraZeneca, Johnson & Johnson, CureVac et Sanofi). Bien sûr personne n’était en capacité de savoir qui réussirait ou pas à produire ces vaccins et dans quels délais (il faut souligner que le résultat a été inédit dans la création d’un vaccin en si peu de temps). Ces pré-commandes étaient à priori suffisantes pour vacciner les 450 millions de citoyens européens et même pour permettre à l’UE d’aider les pays pauvres, car comme il a été dit au Parlement « personne n’est en sécurité tant que tout le monde n’est pas en sécurité ». Il n’y avait pas qu’une question de prix dans ces négociations avec les grands groupes pharmaceutiques. Si des pays comme les USA, le Canada, Israël et…la Grande Bretagne sont allés plus vite que l’UE pour leurs commandes, c’est d’une part qu’ils n’ont pas discuté les prix mais surtout qu’ils ont permis aux laboratoires de s’exonérer de toute responsabilité juridique en cas de problèmes. Cela a conduit à des négociations très dures et compliquées entre l’UE et les groupes pharmaceutiques. La Commission a réussi au moins à imposer aux Groupes une « responsabilité partagée », ce qui n’est pas mince…Il est vrai aussi que le processus de validation des vaccins a pris plus de temps non seulement par la complexité de l’évaluation et de la décision à 27 mais également par la priorité accordée à la sécurité et aux règles de responsabilité de l’UE avec le principe de précaution.

Il est certain, et la Commission l’a admis devant le Parlement, que les capacités de production du vaccin ont été surévaluées de même que leurs distributions. La Commission a pourtant confirmé son objectif de vaccination de 70 % de la population adulte de l’UE pour l’été 2021. La Commission a d’ailleurs passé une commande supplémentaire de vaccins à Moderna (150 millions de doses pour les 3ème et 4ème trimestre 2021 et 150 millions pour 2022) et à Pfizer BioNtech (200 millions de doses).

Un Plan européen santé 2021-2027 ambitieux

La Commission a présenté le 11 novembre 2020, ses propositions pour une « Europe de la santé » très largement orientées autour de la pandémie de Covid-19 :

  • Obligation d’assurer un niveau élevé de protection de la santé, en accord avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
  • Renforcement des structures et mécanismes existants pour l’amélioration du niveau de protection, de prévention, de préparation et de réaction aux risques à l’échelle de l’Union ;
  • Amélioration de la coopération transfrontalière pour lutter contre les menaces sanitaires ;
  • Élargissement du rôle de l’Union dans la prévention et la coopération internationales.

Le budget finalement adopté grâce au Parlement européen, de 9,4 milliards d’euros, représente un investissement multiplié par 20 par rapport à l’exercice précédent 2014-2020 sur la santé, qui n’était que de 450 millions.

Il est également intéressant de voir comment tous les instruments de l’Union pourront contribuer à ce plan santé au-delà de l’Agence européenne des médicaments qui délivre les autorisations de mise sur le marché des médicaments dans les États membres de l’Union européenne. Créée en 1995 à Londres (Royaume-Uni), son siège est désormais situé à Amsterdam en raison du Brexit. La politique de santé de l’Union pourra également s’appuyer sur le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) à Solna en Suède ou encore l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) à Parme en Italie. Il existe également des institutions tripartites dans lesquels les partenaires sociaux pourront jouer un rôle important comme la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) basée à Dublin et l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (OSHA), basée à Bilbao.

Au final cette pandémie pose également à l’UE et aux États membres le problème de leur indépendance en matière de recherche, de développement et de fabrication des médicaments, ainsi qu’en matière de matériel médical. Sans parler de la revalorisation des métiers de santé et de financement des systèmes de santé et des hôpitaux.