Pour répondre à ces questions, l’Apec et Terra Nova, aidées par la société Ipsos, ont interrogé 4 000 salariés du privé sur le montant de leur salaire, sa composition et son évolution.
Le pouvoir d’achat demeure la préoccupation dominante de ceux qui travaillent. Ils pensent que le leur a stagné. Ils ne sont pas optimistes pour l’avenir, inquiets de la situation économique mondiale et nationale.
- Quatre salariés sur cinq n’ont pas confiance dans la situation économique mondiale (78 %) et encore moins dans la situation économique nationale (83 %).
- Deux salariés sur trois se déclarent inquiets quant à l’évolution à venir de leur pouvoir d’achat (68 %) et de leur rémunération (60 %).
- En revanche, les deux tiers (66 %) sont plus confiants dans la situation économique de leur entreprise.
Pour les salariés du privé, le pouvoir d’achat dépend désormais moins des entreprises que des pouvoirs publics. Une majorité de Français (55 %) jugent leur situation financière très juste, difficile, voire très difficile.
- Un sentiment plus marqué chez les ouvriers (64 %), les employés (60 %) ou les professions intermédiaires (58 %) que chez les cadres où le sentiment d’aisance domine au contraire nettement (69 %).
- Les 5 dernières années ont été, aux yeux de beaucoup, une période de décrochage ou de stagnation.
- Les perceptions varient selon la position sociale occupée dans la hiérarchie sociale et la CSP. Les cadres sont les plus indulgents à l’égard de la politique sociale de l’entreprise et les professions intermédiaires les plus sévères, les CSP employés et ouvriers occupent des positions proches de la moyenne.
Lorsqu’ils font la balance entre ce qu’ils investissent dans leur travail (temps, compétences…) et ce qu’ils reçoivent en retour, un nombre significatif de salariés s’estiment floués. Si un quart seulement des cadres se déclarent « perdants » : (27 %), c’est le cas d’un tiers des employés et de 41 % des professions intermédiaires.
La colère monte chez les classes moyennes : cette catégorie a beaucoup augmenté (7 millions de salariés aujourd’hui). Ce sont en majorité des femmes, niveau bac+2. C’est dans cette catégorie que l’on trouve le plus de salariés injustement rémunérés par rapport à leurs diplômes, leurs compétences, leurs efforts, leurs niveaux de responsabilité, leur utilité dans l’entreprise.
- Ce sont des salariés du secteur de la santé et du travail social (infirmiers, préparateurs en pharmacie, techniciens médicaux), des fonctions administratives et commerciales d’entreprise (secrétaires de direction, technicien de services financiers, comptables, juridiques, etc.)
- C’est la catégorie qui critique le plus son entreprise et qui compte le plus sur les pouvoirs publics pour défendre son pouvoir d’achat.
- Cette colère latente trouve un exutoire dans les élections. C’est au sein des professions intermédiaires que le vote RN a enregistré ses plus fortes hausses (Ipsos : +10 points soit 29 %, Opinionway : +15 points soit 32 %).
Les salariés ont beaucoup à dire sur leur rémunération, mais ils ne disent pas tous la même chose. La satisfaction générale qu’ils éprouvent à l’égard de leur situation actuelle atteint des niveaux assez remarquables (+74 %) avec une insatisfaction qui domine chez les classes populaires et une large partie des classes moyennes. Sans surprise, un fossé sépare les cadres des autres catégories, tant du point de vue des niveaux de rémunération que du point de vue de la composition de la rémunération, de son évolution et du regard porté sur elle.
- Ainsi, 63 % des cadres se déclarent satisfaits de leur niveau de rémunération actuel (+8 points par rapport à la moyenne) contre 53 % chez les professions intermédiaires (-4 points) et 54 % chez les employés (-3 points).
- Les écarts sont encore plus prononcés au sujet de l’évolution de la rémunération au cours des 5 dernières années : 56 % des cadres s’en disent satisfaits contre 43 % des professions intermédiaires et 45 % des employés et ouvriers.
Les questionnements des salariés : équité, mobilité, lisibilité, concernent un sentiment de décalage entre leurs contributions et leur rémunération, mais aussi des situations de blocage ou d’impasse, un manque de lisibilité de la politique salariale et un besoin de justice et d’équité.
- Une rémunération déconnectée de l’effort et des contributions. Sur les 11 critères d’appréciation proposés par l’enquête, c’est au regard de leur investissement, de leurs compétences et de leur expérience que les salariés du privé sont les plus sévères.
- Des trajectoires bloquées et une mobilité affaiblie : le tassement des revenus dans le bas de l’échelle salariale alimente un sentiment de stagnation, voire de déclassement.
- Une rémunération de plus en plus individualisée et de moins en moins lisible. Cette individualisation croissante affecte les formes que prennent les augmentations de rémunération. On assiste à un système davantage centré sur les primes et la performance individuelle.
Au-delà du salaire, les conditions de travail et la reconnaissance restent le premier levier du sentiment d’être gagnant dans sa relation au travail. La rémunération s’élargit progressivement à un ensemble de dispositifs matériels et immatériels qui forment un « package » global : participation, intéressement, tickets-restaurants, protection sociale complémentaire, forfait mobilité durable etc. À cela s’ajoute des éléments non monétaires : aide à la mobilité, accompagnement budgétaire, accès au logement, garde d’enfants. Mais aussi la qualité du management, la reconnaissance, les perspectives d’évolution, l’accès à la formation. Les employeurs ont la responsabilité d’investir au-delà de la rémunération, dans l’’employabilité et la sécurisation des parcours professionnels de leur salariés.
Cette enquête montre que rémunération et conditions de travail sont imbriquées négativement (pénibilité/charge de travail) ou positivement (télétravail/équilibre vie professionnelle et personnelle). Le salaire ne fait pas tout. Les salariés jugent aussi leur travail au regard de la pénibilité, du stress, de l’autonomie ou du rythme imposé. C’est ce que montrent les réponses à la question « Sur quels critères devrait se fonder en priorité la rémunération d’un métier ? ».
Référence

