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La Grande-Bretagne et l’Union européenne - Brexit : what a mess ! (Brexit : quelle pagaille !) 1

mercredi 26 septembre 2018

Au moment où la négociation du Brexit est entrée dans sa phase cruciale, nous avons demandé à Jean Lapeyre, ancien Secrétaire général adjoint de la CES, de nous donner des éclairages sur ce dossier sensible et si important.

Introduction

Que de remous autour de ce Brexit. Theresa May a le plus grand mal à gérer les négociations avec l’UE sur les conditions de sortie de son pays. Les démissions de son gouvernement des hard brexiters, David Davis et Boris Johnson, montrent une majorité gouvernementale fragile qui ne tient que par l’apport des 10 parlementaires ultra nationalistes protestants Nord Irlandais. Mais la Grande-Bretagne est-elle jamais entrée réellement dans la Communauté européenne ? Refaisons un peu d’histoire.

De la difficulté d’être britannique et européen

Au commencement était la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) créée par six pays fondateurs (France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays Bas et Luxembourg) et par le Traité de Paris de 1951. Il s’agissait pour les pays fondateurs de mettre en commun (ou plutôt sous surveillance commune) les industries de guerre avec cette idée fondamentale d’empêcher, après deux conflits épouvantables (1914-1918 et 1939-1945), toute guerre sur notre continent européen. La Grande-Bretagne ne fait donc pas partie de la CECA mais la Conférence de Messine (Italie) en juin 1955, organisée par les 6 Etats membres, décide de mettre en place un Comité intergouvernemental pour réfléchir à une extension de la CECA à tous les secteurs de l’économie. Le gouvernement britannique est invité à participer à ce Comité, ce qu’il fait à partir de juillet 1955 mais, dès octobre, les Britanniques se retirent du Comité et choisissent des rapports préférentiels économiques avec les pays du Commonwealth et sur le plan nucléaire avec les USA et le Canada.

La Grande-Bretagne ne fera donc pas partie du Traité de Rome de mars 1957 (entré en vigueur le 1er janvier 1958) qui crée la Communauté économique européenne (CEE). Par la suite les gouvernements britanniques vont poser leur candidature à la CEE de 1961 à…1973. Par deux fois en 1963 et en 1967 le Général de Gaulle opposera son veto, pour la France, à l’adhésion britannique ! En 1970, pour la troisième fois, le Premier Ministre Conservateur, Edouard Heath pose la candidature du Royaume-Uni à la CEE. La levée du veto français permet l’ouverture des négociations d’adhésion au Royaume-Uni, à l’Irlande et au Danemark qui entrent tous les trois dans la Communauté européenne le 1er janvier 1973.

Un changement de gouvernement en Grande-Bretagne en 1974 amène au pouvoir les Travaillistes qui demandent une renégociation sur les termes de l’adhésion sous menace d’un…référendum populaire sur cette adhésion à la CEE !

Il faut dire que la gauche politique et syndicale en Grande-Bretagne est opposée à la Communauté européenne. Cette opposition durera jusqu’en…1988. Quand Jacques Delors arrive à la Présidence de la Commission européenne le 1er janvier 1985, la Confédération syndicale britannique, le TUC, est liée, depuis 1981, par une résolution de son congrès qui appelle le Royaume-Uni à se retirer de la CEE par référendum populaire !!!

Ce sont les engagements sociaux de Jacques Delors, face aux coups violents donnés par la Première Ministre Margareth Thatcher (grève des mineurs, lois antisyndicales de 1980-82-84-88…), qui vont faire évoluer les syndicats britanniques plus vite que le Parti Travailliste.

En septembre 1988 Jacques Delors participe au congrès du TUC et s’engage sur l’Europe sociale à la grande fureur de Margareth Thatcher qui regarde dans son bureau la retransmission du congrès en direct ! Les syndicalistes britanniques font une ovation à Jacques Delors à la fin de son discours, en lui chantant « Frère Jacques » …Le TUC est devenu pro-européen.

Cette adhésion à l’UE reste pour les gouvernements britanniques conservateurs ou travaillistes un élément de méfiance et de résistance à l’intégration politique. Les gouvernements conservateurs refuseront la mise en place du Système monétaire européen en 1979, la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, le Protocole social du Traité de Maastricht, les directives sociales telles celle sur le temps de travail et celle sur la mise en place de Comités d’entreprises européens… Mais le gouvernement travailliste de Tony Blair, à part des gestes forts au début de son mandat comme l’adhésion à la Charte de 1989 et à la directive sur les Comités d’entreprises européens, restera toujours également en retrait sur le social et mènera même une bataille continue contre une proposition de directive sur les droits des travailleurs à une information/consultation au niveau national [1].

Le Brexit : une profonde rupture sociologique, générationnelle et territoriale

La campagne du Brexit et son résultat montrent des fractures importantes dans la population britannique.

La première est sociologique : les milieux libéraux, économiques et intellectuels ont voté majoritairement contre le Brexit (à Londres le vote contre a été de 59,9% des voix) alors que dans les milieux ouvriers et ruraux le vote pour le Brexit l’a largement emporté avec les craintes provoquées par l’immigration, la mondialisation et le sentiment de perte de souveraineté face à Bruxelles. Cette situation a été une source de problèmes pour le parti travailliste dans son positionnement pour ou contre le Brexit, mais aussi maintenant pour la gestion de la sortie de l’UE.

La seconde est générationnelle : les plus anciens sont les plus nostalgiques de « l’Empire britannique » et de la force du Commonwealth. Plus de 66% des plus de 55 ans ont voté pour la sortie de l’Union européenne. À l’inverse, les nouvelles générations ont intégré cette notion européenne, ses capacités de mobilités universitaires et de voyages intra européens. Plus de 70% des moins de 25 ans ont voté pour rester dans l’Union.

La troisième est territoriale et ce n’est pas la moins importante : Si le vote final a été 51,9% des voix pour le Brexit il faut noter que 62% des Écossais ont voté pour rester dans l’UE. En fonction de l’accord ou de non accord de sortie de l’UE les velléités d’indépendance vont certainement resurgir. Pire encore avec le cas de l’Irlande du Nord où 55,8% des citoyens ont voté pour rester dans l’Union. C’est LE sujet peut-être le plus difficile dans l’accord entre l’UE et la Grande-Bretagne. Toute réintroduction de barrières « physiques » entre la République irlandaise et l’Irlande du Nord risque fort de relancer les tensions communautaires entre catholiques et protestants. Mais dans le même temps la Première ministre britannique est prisonnière de son accord avec les 10 députés unionistes nord-irlandais qui lui assurent sa majorité au Parlement et qui ne veulent pas entendre parler « d’unité » économique, séparée de la Grande-Bretagne, entre les deux parties de l’Irlande qui marquerait, de fait, la réunification de l’île…

On pourrait parler aussi de la crise politique provoquée par le Brexit tant du côté conservateur que travailliste mais cela fait partie encore de l’actualité sur laquelle nous allons revenir tout comme sur la crise sociale que provoquerait une mauvaise sortie de la Grande-Bretagne de l’UE.

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Sujet qui compte deux parties :
[Partie 2]
La Grande-Bretagne et l’Union européenne - Brexit : what a mess ! (Brexit : quelle pagaille !) 12


Notes :

[1-1- Voir sur ce point le livre « Le dialogue social européen : histoire d’une innovation sociale (1985-2003) » p.192 encadré « Petites et basses manœuvres anglo-germaniques » J.Lapeyre, édition ETUI 2017