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Violence sexuelle et économie du terrorisme

samedi 26 mars 2016

L’actualité européenne est dominée par la question des réfugiés. Au-delà des chiffres et des faits traités de manière déshumanisée, il y a la réalité de ce que vivent les personnes concernées dans leur chair. Nombre d’entre eux sont victimes de violences sexuelles. C’est une stratégie souvent utilisée à grande échelle par des groupes armés pour humilier leurs adversaires et détruire des individus, voire des sociétés entières. La lutte contre cette forme de violence reste très souvent limitée, du fait de la faiblesse des mécanismes de protection dans les pays concernés, d’un système judiciaire inadéquat et de services sporadiques d’aide aux victimes.

Première conférence de l’ONU sur l’exposition des femmes réfugiées aux violences sexuelles

Cette première conférence s’est tenue le 16 mars au siège de l’ONU dans le cadre de la 60ème session de la Commission de la Condition de la Femme. C’est la première conférence du genre et elle était intitulée « Réfugiés et personnes déplacées, victimes de groupes terroristes - femmes et filles exposées à un continuum de violences sexuelles et d’exploitation ». Des victimes s’y sont exprimées aux côtés de nombreux ministres dont la ministre française des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, Laurence Rossignol et de la représentante spéciale des Nations Unies sur la question des violences sexuelles dans les conflits, l’ancienne ministre sierra-léonaise Zainab Hawa Bangura.

Le viol est devenu une arme de guerre et c’est un phénomène en augmentation

C’est le cas en particulier en Syrie, en Irak, au Nigéria… Dans les pays où les groupes terroristes sévissent, tout le monde est affecté. Mais les femmes et les enfants le sont plus encore, du fait de l’utilisation de plus en plus brutale et stratégique de la violence sexuelle. Celle-ci sert non seulement de tactique de guerre, mais aussi d’instrument pour augmenter leur pouvoir et prendre le contrôle de territoires.

Les victimes expliquent avoir été traitées comme des biens de "propriété" à "négocier", comme des "machines" à procréer pour les combattants. Dans les bastions de l’État islamique (EI) en Syrie et en Irak, à Raqqa et Mossoul, les femmes et les filles - en particulier les groupes minoritaires ciblés selon leur religion ou leur origine ethnique - ont été détenues de force dans des maisons avant d’être inspectées physiquement, sélectionnées et vendues sur des marchés ouverts où leurs "prix" peuvent être négociés. Au Nigeria, Boko Haram a constamment recours à la violence sexuelle, détruisant des communautés entières.

Une importante source de revenus pour les terroristes

La violence sexuelle est devenue un outil clé dans l’économie du terrorisme. À partir du moment où elle est capturée, une femme ou une fille peut être l’objet de cinq ou six transactions - à commencer par sa vente, puis à travers de multiples échanges entre les combattants, jusqu’à la rançon payée par sa famille pour obtenir sa libération. Un récent rapport présenté par le Secrétaire général des Nations Unies note que l’EI continue de bénéficier de versements de rançons par les familles des otages, en particulier de la communauté yézidie. Un rapport de l’ONU évalue ces paiements à 35 à 45 millions de dollars pour 2014, alors que 850.000 dollars ont été versés en janvier 2015 pour la libération de 200 irakiens yézidis. Bien que ces chiffres soient stupéfiants et aient fortement contribué aux opérations stratégiques de l’EI, ce mode de financement du terrorisme continue d’être éclipsé par les ventes de pétrole et le trafic d’antiquités…

La route de l’Europe est semée de dangers

Les millions de réfugiés qui prennent les deux routes vers l’Europe sont extrêmement vulnérables aux violences sexuelles, au viol, au sexe de survie et au trafic. De même que tous les réfugiés à travers le monde. Cela concerne particulièrement les femmes et les filles, mais aussi les hommes, les garçons, les personnes LGBT. La violence sexuelle est à la fois une cause et une conséquence du déplacement : ils sont en danger pendant tout leur voyage, lorsqu’ils quittent leur pays d’origine, dans les pays de transit, aux points de contrôle, dans les camps de réfugiés, jusqu’au pays d’accueil.

Il faut reconnaître les victimes de violence sexuelle comme victimes de conflits et de terrorisme

L’ONU met tous ses efforts dans la prévention des conflits : plus ceux-ci se multiplient, plus le risque existe que les Etats et les institutions s’effondrent, créant un vide pour les groupes terroristes et les organisations criminelles… Dans les pays qui accueillent des réfugiés, des mesures de protection devraient être adoptées pour atténuer les risques. Certains sites d’accueil ne répondent pas aux normes minimales, comme posséder une séparation entre les toilettes des hommes et des femmes ou un nombre suffisant de lits. Il est également crucial de mettre en place des mécanismes de protection transfrontaliers lorsque ceux-ci n’existent pas. Les demandes d’asiles provenant de groupes minoritaires, qui sont souvent la cible de telles violences, doivent également être prioritaires.

Ces problèmes ne peuvent être résolus qu’avec une volonté politique au niveau national, régional et mondial. Il est important de reconnaître formellement les victimes de violence sexuelle en tant que victimes de conflits et de terrorisme, afin d’ouvrir la voie à des réparations et des recours. Il faut aussi convaincre les chefs traditionnels et religieux de ne plus stigmatiser les victimes mais leurs auteurs, pour permettre aux survivants de vivre dans la dignité et d’être acceptés dans leurs communautés.

Et nous en France ?

Dans son intervention, Laurence Rossignol a évoqué les responsabilités de la France. En effet, notre pays accueille des réfugiés et comprend des camps de réfugiés, certains sont très connus. Selon les informations donnée par les ONG à la ministre, de nombreuses femmes qui ont un parcours de réfugiée et qui se trouvent actuellement dans les camps en France ont été à un moment donné victime de viol ou ont dû échanger des actes sexuels contre le passage sur le bateau ou contre l’aide des passeurs. Elle a donc considéré qu’il y a une présomption de violence sexuelle qui fait de toutes ces femmes des victimes potentielles. Elle s’est engagée devant la Commission à travailler avec les ONG pour les accompagner aussi bien sur le plan psychologique que sur le plan sanitaire.


Sources