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Doit-on opposer revenu universel et travail ?

samedi 28 janvier 2017

Avec la crise financière et la robotisation du travail, le revenu universel d’existence, alternative à la réduction du temps de travail, revient sur le devant de la scène politique. Appelé de multiples façons : allocation universelle, revenu de base…, il est revendiqué par certains représentants de droite et de gauche. Pour la droite, c’est une façon de supprimer la protection sociale et de la remplacer par un revenu de base égal pour tous. Pour la gauche, c’est maintenir la protection sociale et rajouter une allocation plus fluide, sans contrôle ni stigmatisation entre l’emploi, la formation, la création et les activités bénévoles. Les expériences actuelles (appelées RUE) sont partielles et sont une forme d’extension de la protection sociale et non une mise en place du revenu universel.

Le lien de ce débat avec la « raréfaction du travail »

La crainte que le progrès ne détruise des emplois est aussi vieille que le progrès lui-même. Rappelons-nous les Canuts de Lyon et encore plus ancien les soldats grecs face à l’introduction des catapultes. Or, ce que nous disent les historiens et les experts c’est que les deux précédentes révolutions industrielles qu’ont connu le XIXème et le XXème siècles n’ont pas entrainé la fin du travail et qu’au contraire le nombre de salariés a augmenté ; le salariat lui-même est devenu la forme très majoritaire des relations de travail alors que dans le même temps la durée moyenne du travail a baissé. La question est donc de savoir si la troisième révolution industrielle que nous vivons, celle du numérique, est une opportunité ou une catastrophe. Il est trop tôt pour le dire et cela dépendra beaucoup de la manière dont nous appréhendons ces changements. Si nous considérons que c’est une opportunité, nous avons à assumer un triple défi, celui de la compétitivité, celui de l’adaptation du modèle social et l’existence d’un système de formation initiale et continue performant et efficace à même d’assurer une bonne transformation du travail.

Définition et financement

Comment définir le revenu de base ? Il est possible de distinguer quatre critères de distribution des ressources économiques. Les trois premiers sont des critères de justice distributive : le principe de contribution (ou mérite), selon lequel chacun devrait recevoir selon son dû ; le principe de compensation, selon lequel les ressources devraient être attribuées selon le besoin ; et enfin l’égalité. Le quatrième critère entend tenir compte de l’efficacité : selon ce principe, les ressources doivent être attribuées à ceux qui en feront le meilleur usage. Théoriquement, le revenu de base peut être justifié par ces quatre principes.

Comment financer le revenu de base ? Pour un revenu de base à 500 euros, le taux de prélèvement obligatoire augmenterait de 12,4 points et les recettes fiscales de +45 %. On peut économiser sur le RSA, sur d’autres minima sociaux et sur les allocations familiales. Il est donc difficile d’économiser plus de 80 milliards d’euros, sauf à s’en prendre à la protection sociale (santé, retraites, assurance chômage…). Il reste à trouver 270 milliards d’euros.

« Comment peut-on défendre le revenu de base ? »

Allons voir du côté des experts

Le rapport de Guillaume Allègre de l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de décembre 2013, est sceptique sur cette mesure, contrairement à Marc de Basquiat du Mouvement Français pour un revenu de base.
Marc de Basquiat indique : « je défends le revenu de base dans une logique où les prestations contributives resteraient inchangées tandis que les prestations non contributives (RSA, allocations familiales) seraient remplacées par un revenu de base qui dépendrait de l’âge. Des prestations répondant à des situations spécifiques (logement, handicap, dépendance) seraient maintenues en complément du revenu de base.

La pauvreté, la diversité des conditions, le dynamisme économique, l’héritage du passé, l’encouragement à la nuptialité, l’aide aux enfants, la complexité croissante de l’État-providence, le déficit des comptes publics, la pression fiscale pourrait être réglée par l’instauration du revenu universel, défend Marc de Basquiat.

Pour Guillaume Allègre, les réponses à apporter en termes de politiques publiques sont complexes, à l’image des problèmes qu’elles sont censées résoudre. Cela nécessite de réformer les systèmes de quotient familial et conjugal, de réformer les minima sociaux, la fiscalité sur l’héritage, le patrimoine et d’adopter une stratégie globale de sortie de crise qui permette de réduire les déficits budgétaires, sociaux, écologiques et de lutter contre le cercle vicieux des inégalités. Il est illusoire de penser qu’il soit possible de résoudre tous ces problèmes par un seul dispositif.

« Les objectifs fixés au revenu de base peuvent être poursuivis par d’autres instruments, et notamment par les minima sociaux, l’assurance chômage et la réduction généralisée de la durée du travail (via la diminution de la durée légale du temps de travail, l’allongement des congés parentaux, ou la mise en place d’un congé sabbatique rémunéré) », tout comme par la sécurité sociale universelle (CMU, CMUC).

Pour lui, le travail est plus que le travail, au niveau de l’individu et au niveau de la société, il est une reconnaissance, une utilité sociale, il fait partie des systèmes de protection sociale (assurance maladie, retraite, allocations familiales, assurance chômage…).

Autre idée : un revenu de base en contrepartie du travail domestique ? D’après l’INSEE, les Français auraient consacré 60 milliards d’heures de travail domestique en 2010, soit l’équivalent de 33 % du PIB. Cela constitue un service que les individus rendent à leur propre ménage en termes de cuisine, ménage, courses, soins aux enfants ou aux personnes âgées. Toutes ces activités ont une valeur marchande. Certains ménages y substituent des services marchands (employé-ée de ménage, repas au restaurant, garde collective ou individuelle…).

  • « Le travail domestique augmente le revenu des ménages » affirme Marc de Basquiat, tout comme l’investissement associatif, il est normal qu’il soit rémunéré par le RUE.
  • « Dans ce cas, c’est un salaire parental et non un salaire universel » répond Guillaume Allègre. Du point de vue de la société, en termes d’équité horizontale, la production domestique justifie plutôt que les ménages qui y recourent payent, à revenu égal, un impôt plus élevé. Leur niveau de vie est plus élevé que ceux des ménages ne faisant pas appel à la production domestique. Il est difficile de justifier un revenu inconditionnel à tous de manière égalitaire, par les contributions sociales réalisées par certains. Quid de ceux qui ne gardent pas les enfants et ne participent pas au travail associatif ?

Bien qu’en apparence séduisantes, les caractéristiques du revenu de base sont difficilement compatibles avec les grands principes de justice contributive :

  • Le revenu inconditionnel est incompatible avec le principe de contribution au mérite. Chacun doit recevoir selon son dû ;
  • Le revenu individualisé est incompatible avec le principe de compensation, chacun doit recevoir selon ses besoins ;
  • Le principe de partage égalitaire d’une ressource exogène ne permet pas de justifier un revenu de base suffisamment élevé, tant que le travail reste le principal créateur de richesse.

Dans ces conditions, la réduction généralisée du temps de travail semble une solution politique plus soutenable que le revenu de base pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés.


Références