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L’« entreprise libérée » : un mythe ?

mercredi 11 avril 2018

On en parle beaucoup ces dernières années, un concept prôné par Tom Peters dès 1993 et repris aujourd’hui par un certain nombre d’entreprises et de DRH. Qu’y a-t-il dans cette expression ? Un nouveau mode de management ? Qui est libéré ? Les salariés ou l’entreprise ? Et libérés de quoi ? Est-ce une réponse à l’hyper contrôle managérial qui est la règle dominante aujourd’hui ?

Une définition qui manque de précision

Une journaliste des Échos a pu titrer en août dernier « L’entreprise libérée, stade ultime du bonheur au travail ? ». En fait, les exemples sont extrêmement diversifiés et les définitions sont peu fixées et vont du panégyrique à un certain scepticisme.

Les éléments positifs, largement mis en avant, mettent l’accent sur une structure d’entreprise plate avec peu de niveaux hiérarchiques et un effacement des marques d’autorité. Ce mode de management est aussi caractérisé par la demande d’un engagement, la responsabilisation des salariés, à qui on donne de l’autonomie et on demande des initiatives et une auto-organisation. En principe, les salariés sont impliqués dans les décisions. Le tout repose sur un partage des valeurs et de la vision de l’entreprise, et sur la réalisation d’une relation basée sur un couple liberté-confiance. On reprend ainsi des pratiques proches du management participatif, déjà utilisé depuis les années 80. Mais d’autre part l’entreprise libérée n’est pas définie par les utilisateurs comme une entreprise démocratique.

Utopie, modification profonde ou mode managériale ?

Beaucoup s’interrogent sur les raisons de cette absence de définition claire. Cela dépend, selon les entreprises qui s’affirment comme des entreprises libérées, de la variété et du degré des mesures mises en œuvre. Jusqu’où va la suppression des contrôles ? Jusqu’où va la participation aux objectifs ?

Cette liberté-confiance a l’intérêt de s’appuyer sur les compétences des salariés, de les amener à aller plus loin encore, à s’auto-organiser collectivement dans des groupes autonomes. Donc miser sur les salariés pour avoir des entreprises plus dynamiques et en développement, et ainsi libérer l’entreprise.

La « libération » de l’entreprise se combine de toute façon avec la présence revendiquée d’un leader fort et « un ordonnancement vertical de l’action », un paradoxe par rapport à la liberté annoncée. Car ce mode de management se situe bien sûr dans le cadre d’une recherche de performance et d’efficacité plus fortes, donc d’un plus pour l’entreprise et son économie.

Aussi, selon les cas, on peut l’analyser soit comme un renouvellement des pratiques managériales, soit simplement comme une nouvelle mode managériale, et la recherche d’une réduction des coûts par l’allègement de la ligne managériale. Ainsi, quelques uns ont poussé la mutation très loin, avec de vrais changements managériaux, d’autres font surtout de la communication.

Questions, points de vigilance

La première qui se pose est bien sûr celle des buts réels de l’entreprise et de sa déontologie dans la mise en place d’un tel management dans l’entreprise et vis-à-vis des salariés.

Mais il y a aussi des salariés qui ne souhaitaient pas être « libérés », car cela implique l’obligation d’assumer les incertitudes, l’insécurité qui jusque là étaient endossées par les managers, et qui risquent de souffrir ainsi d’un stress nouveau. S’ils sont simplement obligés à intégrer ces nouvelles méthodes, cela ne risque pas d’assurer leur bien-être au travail. Et quelle place, quel rôle reste-t-il à l’encadrement intermédiaire ?

D’autre part, en général dans ces pratiques, les horaires sont souples, la pointeuse disparaît, le télétravail est de droit (avec une obligation d’un certain nombre de jours de présence). Une forte implication peut ainsi poser des questions sérieuses d’équilibre entre vies professionnelle et personnelle.

Enfin, que devient le dialogue social dans ces entreprises ? La suppression de beaucoup d’intermédiaires le modifie complètement. Les représentants du personnel et les syndicats deviennent les seules interfaces entre salariés et direction pouvant déjouer les leurres, les problèmes posés. Dans ces cas ils ont besoin de trouver une place nouvelle dans l’entreprise et dans leur rôle au profit des salariés, et le concevoir de façon différente et adaptée à ces conditions nouvelles de travail.
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Références

  • La mode des entreprises libérées… libération, libéralisation ou liquéfaction ? Yoann Bazin, The conversation, février 2018 :
    https://bit.ly/2CHhmsW