Ceux qui ont fui le débat
Première organisation à jeter l’éponge dès la première séance, FO a manifestement refusé de franchir l’obstacle en se déclarant perplexe vis-à-vis du format de la négociation. Il semble que l’équipe dirigeante de FO ait aussi voulu éviter des difficultés internes à moins d’un an d’un congrès qui s’annonce difficile. Pour FO, il n’y avait rien à attendre du conclave « ni le format, ni le périmètre, ni la méthode ne nous convenaient » ont-ils déclaré.
L’U2P, qui regroupe les artisans et les professions libérales, a été la deuxième à quitter la table du Conclave prétextant que dans la situation actuelle de l’économie française il était paradoxal de vouloir revenir sur les 64 ans. Une attitude qui a pu surprendre… Peut-être, l’U2P voulait-elle se démarquer des deux autres organisations patronales représentatives (Medef et CPME) avec lesquelles elle est en désaccord sur de nombreux sujets ou éviter de devoir faire des concessions sur la question de la pénibilité.
Arcboutée sur l’abrogation de la réforme de 2023, la CGT cherchait dès le début le prétexte pour quitter le conclave sans apparaître refuser l’obstacle avant la discussion. Le Premier ministre le lui a fourni sur un plateau en déclarant qu’il était hors de question de revenir aux 62 ans. Dans ces conditions, face à sa base militante, il lui était difficile de rester dans la négociation, le reste des sujets discutés dans le conclave (pénibilité, amélioration pour les femmes, etc.) étant considéré soit comme des « miettes », soit comme des reculs.
Ceux qui sont allés jusqu’au bout de la discussion
CFDT, CFTC et CFE-CGC sont restées jusqu’au bout du conclave sur un terrain semé d’embuches avec les interventions pour le moins intempestives du Premier ministre et l’intransigeance du patronat notamment le Medef. Elles ont démontré une volonté d’avancer ensemble face au patronat pour tenter d’obtenir des avancées.
La CFDT a cherché tout au long des discussions à trouver les voies de passage vers un accord entre partenaires sociaux sur la base de 4 objectifs principaux : un « bougé » sur l’âge, des mesures fortes sur la pénibilité, des mesures pour améliorer la retraite des femmes et la gouvernance du système par les partenaires sociaux. Alors que le Premier ministre mettait à mal la pérennité du Conclave en intervenant sur la question de l’équilibre et de l’âge, elle a obtenu auprès de ses interlocuteurs la redéfinition des objectifs du Conclave de façon autonome par rapport à la lettre de cadrage du Premier ministre. En accord avec ses partenaires syndicaux encore présents, elle a accepté de mettre de côté la question de l’âge de départ à 64 ans pour avancer sur les autres sujets notamment la pénibilité. Malheureusement, malgré l’équilibre du texte présenté par le médiateur Jean-Jacques Marette, il a fallu constater les désaccords encore nombreux entre patronat et syndicats. C’est la CFDT elle-même qui a annoncé puis confirmé par deux fois au Premier ministre que le conclave était terminé et que maintenant c’était au gouvernement de prendre ses responsabilités.
La CFTC et la CFE-CGC ont pleinement joué leur rôle dans cet épisode. Chacune avait sa principale revendication sans oublier celles des deux autres. Ainsi la CFE-CGC insistait sur l’équilibre des efforts entre salariés, retraités et entreprises tandis que la CFTC réclamait l’avancée de l’âge de suppression de la décote à 66 ans qu’elle a accepté de repousser à 66 ans et demi.
La CPME : durant les discussions la CPME, même si elle était très réticente, a semblé prête à remettre en cause les 64 ans sous certaines conditions qui auraient pu faire l’objet de débats avec les syndicats. Mais au final, sous la pression du MEDEF, elle a dû se retrancher derrière le point de vue de l’organisation patronale majoritaire allant même jusqu’à participer à une conférence de presse impromptue devant les portes du lieu des négociations. La CPME semblait pourtant jusqu’ici plutôt apprécier le format de cette négociation.
Le MEDEF : d’un bout à l’autre du déroulement de ce Conclave le MEDEF n’a pas joué le jeu. D’entrée, Patrick Martin s’était montré très réservé sur la méthode proposée par le Premier ministre. Il a toujours affirmé son opposition à toute remise en cause de la réforme de 2023, acceptant tout juste quelques aménagements et refusant toute participation financière des entreprises. Très en retrait dans les débats tout au long du conclave, le MEDEF a fini par abattre ses cartes à la dernière réunion en esquissant des contrepropositions inacceptables par rapport au texte de Jean-Jacques Marette. Cette attitude que l’on peut qualifier de déloyale, comme l’a exprimé Yvan Ricordeau négociateur CFDT, dénote une vision étriquée du dialogue social où les syndicats devraient accepter toutes ses propositions sans faire lui-même de concessions importantes. Sur le fond, le MEDEF ne semble pas avoir pris en compte la dimension sociale voire sociétale de l’opposition des salariés à la réforme des retraites. Un cadeau pour les pourfendeurs d’un dialogue social apaisé et constructif aussi bien chez certains commentateurs que dans les syndicats et les partis politiques. Une lourde responsabilité !
Le format des discussions
Ce conclave a eu au moins pour mérite d’expérimenter une nouvelle méthode de discussion entre les partenaires sociaux. Les négociations se sont déroulées dans un lieu neutre et sous l’égide d’un animateur à la fois médiateur et rédacteur des propositions finales. À cela se rajoute la personnalité propre de Jean-Jacques Marette, ancien directeur de l’AGIRC-ARRCO, fin connaisseur du dossier retraites et des partenaires sociaux. De l’avis de ceux qui ont participé loyalement aux discussions, il a parfaitement joué son rôle aidé par deux hauts fonctionnaires, un du ministère des Finances, l’autre du ministère du Travail, qui ont apporté leur expertise et répondu aux demandes de chiffrage des partenaires sociaux.
Toutefois, ce format et la méthode ont fait l’objet d’une opposition farouche de FO qui a considéré que la médiation était une ingérence insupportable de l’État dans le dialogue social et, pour le moins, les réticences du MEDEF. Ce dernier reprenant les mêmes arguments n’a, en fait, pas supporté de ne pas pouvoir « tenir la plume » et que les discussions n’aient pas eu lieu comme habituellement au siège du MEDEF. Nul doute que la question du format et du lieu des discussions entre partenaires sociaux soit de nouveau posée.
En conclusion
Notons tout d’abord les attitudes différentes entre les syndicats et le patronat. D’un côté notons la modération des organisations syndicales qui ont quitté le conclave vis-à-vis de leur collègues syndicaux qui y étaient restés et réciproquement. Elle montre une certaine volonté de maintenir à un niveau acceptable les relations intersyndicales.
Du côté patronal, les divisions ont été plus flagrantes que jamais. L’U2P a refusé clairement de suivre les autres organisations tandis que la CPME a joué sa carte personnelle presque jusqu’au bout avec le MEDEF. Un MEDEF qui s’est finalement trouvé isolé et qui a été perçu comme celui qui a fait capoter les négociations par son intransigeance. Une attitude qui pose la question de la qualité du dialogue social et la notion de concessions réciproques dans les négociations. Question que les partenaires sociaux devront aborder ensemble pour éviter les blocages à venir.
Sur le fond, au-delà de la question de l’âge de départ à la retraite, les partenaires sociaux avaient la possibilité d’apporter des réponses concrètes à la diversité des situations de travail notamment envers ceux qui, du fait de la pénibilité de leur travail, n’en peuvent plus de rester en activité, en arrêt de travail prolongé ou au chômage jusqu’à la retraite. Une réponse qui aurait pu aussi gommer au moins en partie les inégalités d’espérance de vie des salariés et donner des avantages aux femmes qui sont les grandes perdantes de la réforme de 2023. Vraiment dommage ! Souhaitons maintenant que les travaux du conclave soient repris par le gouvernement et le parlement durant le débat budgétaire de cet automne.
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