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Partage de la valeur ajoutée : une négociation voulue par l’État

mercredi 30 novembre 2022

Prévue depuis 2021 dans l’agenda des partenaires sociaux mais sans suite devant les réticences du patronat à aborder le sujet, la question du partage de la valeur ajoutée revient sur le devant de la scène à l’initiative du gouvernement. Un cadrage de la discussion très précis dans la lettre envoyée par le ministre en septembre 2022, avec un calendrier très resserré que les partenaires sociaux ont réussi à décaler de quelques mois. Pas sûr que la négociation aboutisse tant les divergences sont fortes entre patronat et syndicats. La première réunion de négociation a eu lieu le 8 novembre 2022.

Une lettre de cadrage…bien « cadrée »

Rappelant qu’il existe déjà de nombreux dispositifs de partage de la valeur ajoutée, le gouvernement souhaite toutefois aller plus loin. Conformément à l’article premier du code du travail, il propose donc aux partenaires sociaux de se saisir de la question sous la forme d’une négociation nationale interprofessionnelle pour « renforcer le partage de la valeur entre travail et capital au sein des entreprises et d’améliorer l’association des salariés aux performances de l’entreprise » sous réserve que les entreprises puissent « en supporter la charge ». Il propose de généraliser les dispositifs à toutes les entreprises avec une attention particulière pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Sans que la liste soit limitative, le gouvernement oriente très clairement le travail des partenaires sociaux sur les dispositifs de participation, d’intéressement, d’épargne salariale, d’actionnariat salarié et la prime de partage de la valeur ajoutée.

L’état des lieux

  La participation

Elle est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés et facultative pour les entreprises de 10 à 49 salariés. Elle est calculée à partir d’une formule bien précise prenant en compte les bénéfices de l’entreprise, les capitaux engagés, la masse salariale et la valeur ajoutée de l’entreprise. 4,9 millions de salariés, dont 5,6 % des salariés des entreprises de 10 à 49 salariés, bénéficient de la participation pour un montant moyen de 1 409 €.

  L’intéressement

Facultatif, l’intéressement est un dispositif aléatoire et collectif. Le choix des critères et leur articulation sont libres. Il bénéficie d’un régime fiscal et social de faveur. L’intéressement concerne essentiellement les plus grandes entreprises. S’il concerne tout de même 10 % des salariés des entreprises de 10 à 49 salariés, il bénéficie à près de la moitié des salariés des entreprises de 250 salariés pour atteindre près de 70 % des salariés des entreprises de plus de 1 000 salariés.

Comme pour la participation, il peut être négocié avec les délégués syndicaux, mais aussi avec les élus du CSE ou approuvé à la majorité des 2/3 des salariés dans les petites entreprises. Il peut faire, maintenant, aussi l’objet d’une décision unilatérale dans les entreprises comprises entre 11 et 49 salariés non régies par un accord de branche ou sans représentant du personnel.

  L’épargne salariale

40 700 textes ont été enregistrés en 2020 (40 000 pour les moins de 40 salariés). Plus des deux tiers des accords sont associés à des accords sur l’intéressement, 8,2 % à la participation. 18 % concernent les PEE et 10 % les Perco.

  La prime de partage de la valeur ajoutée

Issue de la prime dite « Macron » instaurée après la crise des gilets jaunes, la prime de la valeur peut être de 3 000 € sans condition et aller jusqu’à 6 000 € si elle est associée à la mise en place d’un accord d’intéressement et de participation. Exonérée de cotisations sociales patronales et salariales, cette prime est toutefois soumise à l’impôt sur le revenu, à la CSG-CRDS et pour les employeurs au forfait social dans les entreprises de plus de 250 salariés.

Une étude réalisée par le magazine « Liaisons sociales quotidien » montre qu’elle est distribuée pour la plupart des accords à l’ensemble des salariés sans limitation de salaire. Elle n’atteint pas le plafond prévu par la loi. Sur les 36 accords disponibles sur Légifrance, la moyenne est de 956,20 € en progression par rapport aux dispositifs antérieurs issus du conflit des gilets jaunes. Cette prime est en général modulée en fonction du salaire. Les accords sont aussi pour la plupart à durée déterminée et limités aux versements de la prime pour l’année en cours.

  L’actionnariat salarié

Il existe sous deux formes : les fonds de placements d’entreprise ou d’actionnariat salarié ; la détention directe de titres de l’entreprise. L’ensemble des fonds concernés est de l’ordre de 100 milliards d’euros, jugé trop faible par le gouvernement. L’actionnariat salarié concerne 3,5 millions de salariés essentiellement des grandes entreprises cotées en bourse dans les secteurs industrie/construction, de l’information et des banques/assurances.

Les axes de négociation proposés par le gouvernement

  1er axe : Généraliser les dispositifs existants notamment vers les petites entreprises
La lettre de cadrage suggère de réfléchir à « faciliter et généraliser » pour l’ensemble des salariés au moins un dispositif de partage de la valeur. Il devrait se déclencher en fonction des résultats de l’entreprise, de ses performances et de la politique de rémunération de l’actionnaire. Il ne devrait pas être en recul par rapport aux dispositifs existants et prendre en compte la taille de l’entreprise, ses modalités de financement et sa situation économique.

  2ème axe : renforcer, simplifier et veiller à l’articulation des différents dispositifs

Il s’agit de moderniser l’existant, notamment la participation jugée peu lisible et insuffisamment adaptée aux caractéristiques de l’entreprise notamment à sa taille. Le gouvernement insiste aussi sur l’articulation de la nouvelle prime de partage de la valeur avec les dispositifs d’épargne salariale. La lettre met enfin l’accent sur l’actionnariat salarié et l’épargne salariale dans les petites entreprises.

  3ème axe : Orienter l’épargne salariale vers les grandes priorités d’intérêt commun

Les produits d’épargne doivent être attractifs et orientés vers des thématiques d’intérêt général répondant aux grands enjeux de notre époque : l’investissement responsable, l’économie productive et la transition écologique.

Les divergences sur le contenu

Le thème du partage de la valeur ajoutée faisait partie de l’agenda autonome des partenaires sociaux discuté en 2021. Pourtant les discussions ne se sont jamais engagées principalement du fait des réticences patronales à aborder ce sujet. Voulant répondre à la question du pouvoir d’achat face à l’inflation et plus généralement à la question du partage de la valeur, le gouvernement a donc poussé les partenaires sociaux à négocier sur ce sujet délicat. Dès la première séance des divergences sont notamment apparues sur le périmètre de la négociation.

Le patronat semble vouloir uniquement se cantonner au périmètre fixé par la lettre de cadrage comme le souhaite le Medef et ne pas aborder la question des salaires. La CPME renvoie la question salariale aux entreprises et éventuellement aux branches. En revanche, l’intégration de la question salariale est unanimement demandée par les organisations syndicales considérant qu’on ne pouvait la dissocier du partage de la valeur ajoutée. Pour la CGT, « l’augmentation des salaires est au cœur du partage de la valeur ». La CFE-CGC considère qu’« ils ne peuvent pas être escamotés ». Et la CFDT, propose qu’« Il faut également traiter un certain nombre de problèmes structurels liés aux salaires » en citant la juste reconnaissance salariale du travail fourni, les minimas de branches, les écarts de salaires et l’égalité salariale. Elle ajoute aussi la transparence fiscale, la contribution des sous-traitants à la chaîne de valeur et le partage de la gouvernance des entreprises. Sur le contenu même des thèmes proposés par le gouvernement, la discussion devrait aussi être difficile.

Une négociation qui s’annonce donc compliquée d’autant que le gouvernement et la majorité présidentielle semblent vouloir être partie prenante du débat avec différentes initiatives prises par le ministre de l’Économie et le parti « Renaissance » sur le thème générique de « dividende salarié ». Les partenaires sociaux ont prévu de se réunir une dizaine de fois pour aboutir à un accord avant la date butoir fixée au 31 janvier 2023. L’accord national interprofessionnel devra ensuite être transcrit dans la loi après le passage au Parlement. Qu’en restera-t-il au bout du compte ?


Sources

  • Liaisons quotidien n° 18669 du 10/11/2022